Roumanie
- 16 janvier 2019 : Étourdissement des animaux/abattage religieux : enjeux électoraux et raisons des attitudes anti-UE
Les Européens occidentaux débattent de l’abattage religieux depuis plusieurs siècles déjà. Actuellement, la question est de concilier les droits religieux des humains et le droit des animaux à être traités humainement. Les défenseurs des droits des animaux militent pour des animaux étourdis avant qu’ils ne soient sacrifiés, une pratique qui va à l’encontre des principes de plusieurs religions dont les lois alimentaires prévoient exactement le contraire. Au fil du temps, ce débat a été instrumentalisé par des confrontations religieuses, économiques ou politiques, mais le dilemme originel persiste encore aujourd’hui : interdire ou non ce qu’on appelle communément « l’abattage religieux » (le sacrifice d’animaux sans étourdissement préalable). À travers son intégration au sein de l’UE, la Roumanie a dû se conformer à la directive de l’UE qui autorise l’abattage des animaux uniquement s’ils sont préalablement étourdis. Il s’est avéré que cette directive était presque impossible à respecter pleinement. En 2007, en Roumanie, il existait environ 4,5 millions de fermes et de foyers dans lesquels les autorités vétérinaires prédisaient que 1,5 million de porcs pour Noël et un nombre similaire d’agneaux pour Pâques seraient sacrifiés. Théoriquement, la procédure d’étourdissement était obligatoire, mais elle était pratiquement absente. Enfin, la solution, qui perdure jusqu’à aujourd’hui, était que les institutions européennes ferment les yeux sur les abattages réalisés à ces occasions.
Lors des négociations à Bruxelles, les Roumains ont demandé que le sacrifice des animaux à Noël et à Pâques soit une exception à la règle, comme le sacrifice pratiqué par les musulmans et les juifs. La Commission a rejeté cette proposition parce que la directive prévoit une exception uniquement pour les rituels religieux, alors que les pratiques roumaines sont considérées comme traditionnelles et non comme rituelles.
Cet événement malheureux a été utilisé en Roumanie de deux façons : électorale et anti-européenne.
En janvier 2009, deux députés européens roumains ont déclaré dans la presse roumaine avoir réussi à modifier la directive 93/119/CE. Ils ont déclaré avoir introduit une nouvelle exception à la règle de l’étourdissement en plus de celles proposées par le rapporteur Janusz Wojciechowski (question écrite de Janusz Wojciechowski à la Commission, Labelling of meat obtained from animals slaughtered without prior stunning (Étiquetage de la viande obtenue à partir de l’abattage d’animaux sans étourdissement préalable), le 8 septembre 2008). Ils ont plaidé leur cause devant la Commission de l’agriculture et du développement rural du Parlement européen, arguant que les amendements étaient nécessaires pour préserver les traditions roumaines de Pâques et de Noël. Plusieurs chaînes de télévision les ont présentés lors de visites de ménages d’agriculteurs visant à annoncer qu’ils n’auraient plus à étourdir leurs animaux. Une ONG roumaine a lancé une action contre cette affaire et a prouvé que leurs déclarations étaient inexactes : les parlementaires avaient tenté, mais sans succès, d’apporter des modifications à la directive susmentionnée ; la demande du rapporteur Janusz Wojciechowski d’amender cette même directive faisait référence à la possibilité d’étiqueter la viande obtenue à partir d’animaux abattus sans étourdissement préalable, et pas du tout à une éventuelle dérogation aux règles imposées par la directive. Considérant que les deux rapporteurs étaient membres du même parti, et que l’un deux était candidat à l’élection présidentielle de 2009, leur action de lobbying aux côtés des institutions européennes a été interprétée comme une action électorale.
Ce type d’approche concernant les droits des animaux a également été l’occasion d’opinions anti-européennes. Plusieurs personnalités publiques, défenseurs présumés des valeurs chrétiennes orthodoxes, se sont montrées critiques vis-à-vis des réglementations concernant l’étourdissement, au nom de la fidélité orthodoxe. Leur principale critique était que l’Union européenne, à travers de telles directives, visait à détruire les traditions religieuses des Roumains, ce qui provoquerait à son tour la destruction du village traditionnel roumain, qu’ils considéraient comme les principaux piliers du peuple roumain. Une brève clarification doit être faite à ce sujet : la coutume de sacrifier un cochon pour Noël n’a pas de fondation dans le christianisme, encore moins dans l’orthodoxie ; l’origine de cette tradition est païenne, pré-chrétienne, et a une explication plus pragmatique, alimentaire plutôt que religieuse.
Pour plus d’information voir : Iordan BĂRBULESCU, Gabriel ANDREESCU, "Animal stunning, the EU, and the Romanian lobby", Romanian Journal of Bioethics, Vol. 8, No. 1, January – March 2010, p. 190-199.