eurel     Données sociologiques et juridiques sur la religion en Europe et au-delà

2019

  • Octobre 2019 : Proposition de loi sur le port du voile pour les accompagnantes de sorties scolaires

Le mois d’octobre a vu ressurgir en France le débat sur la question du port du voile islamique.
En 1989, cette question du voile avait surgi pour la première fois, à propos d’élèves du secondaire. Cela avait suscité une intense discussion, qui avait été à l’origine de la loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux ostensibles à l’école. Depuis, la question de tenues vestimentaires liées aux convictions religieuses, essentiellement musulmanes d’ailleurs, revient régulièrement : à propos du voile intégral en 2010, ou encore du "burkini" en 2016. Plusieurs rapports nationaux ont d’ailleurs été publiés sur cette question.
Récemment, la polémique a été relancée lorsqu’un élu du parti d’extrême droite Rassemblement national a interpellé une femme qui assistait à une séance du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, lui demandant de retirer son voile. Cette femme accompagnait une sortie scolaire.
La loi française, sur ce point, n’est pas toujours facile à comprendre : le port de signes religieux est interdit aux élèves par la loi de 2004. Mais cela ne s’applique pas aux étudiant-e-s des universités, plus âgés. D’autre part, le port de signes religieux est interdit aux agents du service public, soumis à l’obligation de neutralité religieuse du service public, mais cette interdiction ne s’applique pas aux usagers du service public.
Le statut des parents qui accompagnent les sorties scolaires n’est pas clair ; ils ont d’abord pu être considérés par les juridictions comme étant soumis à l’obligation de neutralité des services publics, puis comme des usagers non soumis à cette obligation (voir les débats actuels de juin 2015).
Du fait de cette incertitude, la proposition de loi vise à modifier le code de l’éducation pour étendre "aux personnes qui participent, y compris lors des sorties scolaires, aux activités liées à l’enseignement dans ou en dehors des établissements" l’interdiction des signes religieux ostensibles posée par la loi de 2004.
Le texte a été discuté près de cinq heures, puis a été voté par 163 voix contre 114 (avec 40 abstentions). La proposition de loi doit maintenant être discutée à l’Assemblée nationale.

  • Octobre 2019 : Débats sur la procréation médicalement assistée

Un projet de loi sur la bioéthique est discuté depuis le 24 septembre à l’Assemblée nationale. Ses 32 articles comprennent notamment une mesure concernant l’extension de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes. Plus de 2000 amendements ont été discutés dans la commission spéciale ; après ce débat, le projet va être débattu à partir du 24 septembre à l’Assemblée nationale.
Lors d’une conférence au Collège des Bernardins en septembre, plusieurs évêques avaient exprimé leur désaccord avec ce projet de loi. Plusieurs collectifs, dont certains avaient été constitués lors des manifestations contre le mariage des couples de même sexe de 2013 (comme ’La Manif pour tous’, les ’Veilleurs’, ’Alliance Vita’, les ’Associations familiales catholiques’), d’autres récemment créés comme le collectif ’Marchons enfants’, appellent à manifester contre « la PMA pour toutes », la première manifestation étant programmée pour le 6 octobre.
Après la conférence, Eric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, a affirmé aux journalistes que les citoyens, catholiques ou non, inquiets du projet de loi, avaient le « devoir » de manifester aux côtés des opposants (voir Libération).
Dans les jours qui ont suivi, l’engagement de l’Église catholique sur ce débat de société s’est fait moins clair : le porte-parole de la Conférence des évêques de France Thierry Magnin a déclaré au journal Le Parisien : « Il ne nous appartient pas d’appeler à manifester, ni à jeter l’opprobre sur ceux qui iront ». Bien qu’opposé à la PMA autorisée à toutes les femmes, l’évêque d’Evreux Christian Nourrichard n’appelle pas les catholiques à manifester. D’autres évêques l’ont fait, en revanche, dont l’archevêque de Rouen Dominique Lebrun qui a d’ailleurs participé à la manifestation du 6 octobre 2019 à Paris.
Les organisateurs annoncent avoir mobilisé 600 000 personnes, mais le cabinet de comptage indépendant Occurrence en a dénombré 74 500, selon le journal La Croix. ’Marchons enfants’ appelle à de nouvelles manifestations en décembre, janvier, mars, mai et juin ; on pourra alors évaluer l’ampleur et la progression de la mobilisation.
Après un débat intense mais rapide, le projet de loi bioéthique a été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale le 15 octobre par 359 voix (114 députés ont voté contre et 72 se sont abstenus). Il devrait être examiné au Sénat en janvier.

  • Juin 2019 : Évolution de l’Église catholique romaine en France

Dans son rapport annuel d’activité, intitulé cette année Une Église au service, la Conférence des Evêques de France fournit quelques éléments d’information sur la situation financière de l’Église catholique romaine de France. On note ainsi une légère baisse de la contribution au denier de l’Eglise, qui serait autour de moins 4 %. Le nombre de donateurs est également en baisse, mais cette diminution est compensée par l’augmentation constante du don moyen, en hausse de près de 14 % entre 2013 et 2017. Les quêtes, les legs et les offrandes faites à l’occasion des cérémonies religieuses (baptêmes, mariages ou funérailles) sont également en hausse ; cependant, le nombre de sacrements est en baisse.

Voir :
 Arnaud Bevilacqua, « L’Église de France fait son bilan annuel », La Croix, 24 juin 2019,
 Julien Tranié, « Malgré une baisse, le denier de l’Église a de la ressource », La Croix, 3 décembre 2018.

  • Mai 2019 : L’affaire Vincent Lambert et la fin de vie

Le cas de Vincent Lambert (voir les débats actuels de 2014) vient de connaître un nouveau rebondissement. Tétraplégique à la suite d’un accident de la circulation survenu en 2008, Vincent Lambert est depuis totalement dépendant, alimenté et hydraté de façon artificielle et en état de conscience minimal depuis 2011, et, en France, son cas est devenu emblématique du débat sur la fin de vie.
En France, la fin de vie est réglée par la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, dite loi Claeys-Leonetti, qui a instauré un droit à la « sédation profonde et continue jusqu’au décès » pour les malades en phase terminale et prévoit que les soins soient arrêtés en cas d’« obstination déraisonnable », « lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie », afin d’éviter l’acharnement thérapeutique. Par ailleurs, un avis du Conseil économique, social et environnemental a recommandé le 10 avril 2018 d’instaurer pour les personnes atteintes d’une maladie incurable en « phase avancée ou terminale », et dont la souffrance physique ou psychique est « inapaisable », un droit à bénéficier d’une « sédation profonde explicitement létale », disposition qualifiée de « dépénalisation conditionnelle de l’aide à mourir » (voir Le Monde, 10 avril 2018).
La question de la fin de vie reste cependant discutée. Ce débat déborde largement la question religieuse. Dans le cas de Vincent Lambert, il est néanmoins coloré par les convictions religieuses d’une des parties : ce cas oppose principalement l’épouse de Vincent Lambert aux parents de celui-ci, notamment sa mère, proche de la fraternité Saint-Pie X, un mouvement catholique traditionaliste en rupture avec le Vatican. Au nom de leurs convictions, les parents s’opposent aux décisions d’arrêt de traitement. Ainsi, deux fois, en 2013 puis en 2014, le personnel soignant a décidé l’arrêt des traitements en accord avec l’épouse de V. Lambert, mais le tribunal administratif saisi par les parents a annulé à chaque fois cette décision. En janvier 2014, l’épouse de V. Lambert fait appel devant le Conseil d’Etat, qui après une expertise, juge légale la décision d’arrêt des traitements en juin 2014. Les parents saisissent alors la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui « demande au gouvernement français de faire suspendre l’exécution de l’arrêt rendu par le Conseil d’État » en attendant qu’elle puisse statuer (voir le débat actuel du 24 juin 2014).
La CEDH rend un arrêt le 5 juin 2015, considérant que la procédure retenue pour cesser de maintenir Vincent Lambert en vie est bien conforme à l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme (droit à la vie). Cet arrêt est condamné par les évêques français qui considèrent qu’il s’agit d’un suicide assisté plus que d’arrêt de soins (La Croix, 11 juin 2016).
En 2018, l’équipe médicale responsable de Vincent Lambert se prononce à nouveau pour l’arrêt des soins : un rapport des experts nommés par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne (Marne) confirme « L’état végétatif chronique » de Vincent Lambert, qualifié d’« irréversible » (Le Monde, 22 novembre 2018).
L’Eglise a jugée inacceptable cette décision d’arrêt de soin, par une déclaration publique du groupe bioéthique de la Conférence des évêques de France ; l’archevêque de Reims et son évêque auxiliaire ont déclaré prier « pour que notre société française ne s’engage pas sur la voie de l’euthanasie » (voir leur déclaration).
Les parents déposent à nouveau des recours devant le Conseil d’État et la CEDH, qui sont rejetés : le Conseil d’Etat a jugé légale, dans une décision rendue mercredi 24 avril 2019, la décision collégiale d’arrêt des soins prise par le CHU de Reims. Et le 20 mai 2019, la Cour européenne des droits de l’homme a décidé de refuser la demande de mesures provisoires qui lui a été présentée (affaire Lambert et autres c. France, requête n° 21675/19).
Le tribunal administratif de Paris a rejeté le 15 mai 2019 un recours des parents de Vincent Lambert, qui demandaient la suspension de la procédure d’arrêt des soins dans l’attente de l’examen de leur plainte déposée devant le Comité international des droits des personnes handicapées (CIDPH) de l’ONU. Le tribunal a expliqué son rejet au motif que ce comité, qui n’est « pas une instance nationale », « ne constitue pas une juridiction », et que le gouvernement français « n’avait aucune obligation de respecter » la demande de ce comité de veiller à ce que l’alimentation et l’hydratation de Vincent Lambert ne soient pas suspendues pendant l’examen de son dossier par le comité.
Le médecin traitant de Vincent Lambert commence l’arrêt de sa nutrition et de son hydratation au matin du 20 mai 2019.
Or, au soir du 20 mai 2019, la Cour d’appel de Paris ordonne à l’Etat français de prendre toutes mesures pour faire respecter les mesures provisoires demandées par le CIDPH tendant à la reprise des traitements, jugeant qu’« indépendamment du caractère obligatoire ou contraignant de la mesure de suspension demandée par le Comité, l’Etat français s’est engagé à respecter ce pacte international ». Il ne s’agit que d’une mesure visant à donner le temps à la CIDPH de se prononcer sur le fond. Cette décision est cependant reçue comme une victoire par les parents de Vincent Lambert (voir Le Monde et Le Parisien, 20 mai 2019).

Ajout du 13 juillet 2019 : Vincent Lambert est décédé le 11 juillet 2019 à la suite de l’arrêt des traitements.

Plus d’information : Anne-Sophie Faivre Le Cadre, « Affaire Vincent Lambert : tout comprendre en 8 dates », Le Monde, 22 novembre 2018.

  • Mars 2019 : L’Eglise catholique en difficulté du fait d’affaires de violence et d’abus sexuels

L’Eglise catholique romaine est confrontée depuis plusieurs décennies, dans de nombreux pays, à une situation difficile, celle des révélations sur les viols, abus, violences sexuelles et actes de pédophilie commis dans l’Eglise. De nombreuses révélations ont récemment donné encore plus d’ampleur à ces questions, et l’Eglise catholique romaine a d’ailleurs consacré un sommet à ces questions au Vatican le 24 février 2019.
En France, le sujet est présent dans les débats sociaux depuis plusieurs années déjà. La Conférence des évêques de France a réalisé en 2017 et actualisé en 2018 un rapport sur la lutte contre la pédophilie dans l’Église.
Ces dernières semaines, le débat a pris une nouvelle ampleur, avec plusieurs nouvelles révélations : une institution d’éducation gérée par une communauté catholique traditionaliste (village d’enfants de Riaumont, à Liévin, Pas-de-Calais), est soupçonnée de maltraitances sur des enfants (voir l’article dans Libération). L’ouvrage Sodoma de Frédéric Martel, consacré à l’homosexualité dans le clergé catholique, et plus récemment, un documentaire intitulé Religieuses abusées, l’autre scandale de l’Eglise (Eric Quitin et Marie-Pierre Raimbaud), ont ajouté de nouvelles questions. Enfin, tout récemment, le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon, a été condamné à six mois de prison avec sursis pour ne pas avoir dénoncé les agressions d’un prêtre sur des enfants (Le Monde). Le cardinal a annoncé qu’il allait remettre sa démission au Pape (Le Figaro).
Une commission a été chargée en novembre dernier par la Conférence des évêques de France d’enquêter sur les abus sexuels sur mineurs dans l’Eglise catholique française depuis les années 1950. La Commission comprend 22 membres, 10 femmes et 12 hommes comprend des croyants de différentes confessions ou des non-croyants, athées ou agnostique, mais ni prêtre ni religieux, ni aucune personnalité impliquée (France Inter, Le Figaro, La Vie).

  • Février 2019 : L’antisémitisme en France

La France connaît depuis plusieurs mois un important mouvement de contestation sociale (mouvement dit des « gilets jaunes »). Il apparaît de plus en plus que ce mouvement est l’occasion pour certains de formuler des messages de haine contre les juifs.
Le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a indiqué lundi 11 février qu’en 2018, le nombre des actes antisémites avait augmenté de 74 %, passant de 311 à 541 (Le Monde). Bien que la réalité de ces actes soit difficile à mesurer précisément (Le Monde), il reste clair que la proportion d’actes violents devient plus importante que celle des insultes et menaces, et que les préjugés antisémites sont malheureusement répandus (voir l’enquête IFOP de 2016).
Le gouvernement avait pourtant affirmé son intention de mieux s’impliquer dans le combat contre le racisme et l’antisémitisme, notamment sur internet. Les responsables des cultes et des organisations laïques ont appelé à une marche contre l’antisémitisme le mardi 19 février (Francetv info).

Référence : Avia Laetitia, Amellal Karim, Taieb Gil, Rapport au Premier ministre sur le renforcement de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme sur Internet, 21 Septembre 2018.

  • Janvier 2019 : Réviser la Loi de 1905

On n’en finit décidément pas de discuter la laïcité en France : c’est notamment un des thèmes du grand débat national, lancé le 15 janvier en France, dans lequel les citoyens sont invités à s’exprimer. Deux questions de ce débat concernent en effet la laïcité, l’une demandant aux Français si son application est satisfaisante ou à modifier, l’autre s’ils ont des propositions à faire pour en renforcer les principes dans le rapport de l’Etat aux religions. Même si les ¾ des Français semblent attachés à la laïcité telle qu’elle est définie par le droit, ils ne sont que 46 % à penser qu’il ne faut pas la modifier (sondage Viavoice pour l’Observatoire de la laïcité, novembre 2018).
L’inclusion de questions sur la laïcité dans le grand débat national va dans le sens d’un travail mené depuis plusieurs mois par le gouvernement, qui envisage de modifier la loi de 1905 (qui définit les principes de la séparation de l’Etat et des religions en France). A cet effet, une consultation du ministre de l’Intérieur avec les responsables religieux est en cours depuis plusieurs mois. L’objectif principal, en réalité, est d’inciter le plus grand nombre de groupes religieux, et notamment les associations musulmanes, à faire partie du dispositif de la loi de 1905. Beaucoup d’associations religieuses préfèrent en effet s’organiser sous le statut général des associations (dit de la loi de 1901) : celui-ci permet pas de bénéficier des mêmes avantages fiscaux que les associations cultuelles, notamment l’exonération sur les dons et legs, mais il est beaucoup plus souple administrativement. De plus, le statut des associations selon la loi de 1905, dites associations cultuelles, ne leur permet pas de percevoir des revenus tirés de la location immobilière.
L’un des buts d’un remaniement de la loi de 1905 (qui a d’ailleurs été modifiée plus d’une cinquantaine de fois déjà), est sans doute de rendre ce statut d’association cultuelle plus attractif, dans la perspective de mieux contrôler les flux financiers des groupes religieux. Cela suscite cependant quelques réserves de la part des dirigeants religieux, qui redoutent une complexification de la structure administrative.
Le projet de loi devrait être communiqué au cours du mois de février ; mais il ne sera présenté en Conseil des ministres qu’après les conclusions du grand débat national (voir Libération).

D 21 novembre 2019    AAnne-Laure Zwilling

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