2019
- Août 2019 : Le rapport de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ)
En août 2019, la CDPDJ a produit un rapport intitulé Les actes haineux à caractère xénophobe, notamment islamophobe, ayant pour objectif de dresser un portrait de la situation québécoise portant sur les actes haineux au Québec. Selon le rapport, parmi les 86 victimes d’actes haineux rencontrées pour l’étude, chaque répondant a vécu en moyenne trois actes haineux, 35 % des victimes ont dû changer leurs habitudes de vie et 78 % des actes subis n’ont pas été rapportés à une autorité compétente (partie B. Résultats de l’étude de terrain). Plusieurs effets des actes subis ont été identifiés : peur et anxiété, perte de confiance, isolement, dépression, humiliation, sentiment d’exclusion et volonté de quitter le Québec. De plus, le rapport propose plusieurs recommandations (p. 254 et suivantes), afin notamment de répondre aux raisons de la non-dénonciation d’un acte, parmi lesquelles on retrouve la méconnaissance des lois et des recours, la mauvaise perception des policiers, le découragement, le statut migratoire et le manque de confiance dans le système.
Voir aussi l’article "Relations interreligieuses - Les crimes haineux au Québec".
Bertrand Lavoie
- Juin 2019 - Loi sur la laïcité
L’Assemblée nationale du Québec a adopté le 16 juin 2019 une Loi sur la laïcité de l’État (voir Droit et religion > Présentation générale).
Le contexte d’adoption
La Loi s’inscrit dans le contexte québécois suivant les débats portant sur les accommodements raisonnables (voir la rubrique Accommodement raisonnable). La Loi fait suite à deux projets de loi antérieurs, soit le projet de loi n° 94, déposé en 2011, encadrant les demandes d’accommodement et interdisant la dissimulation du visage dans les services publics, et le projet de loi n° 60, déposé en 2013, interdisant le port de signes religieux pour l’ensemble des employés de l’État. Pour des raisons de changements de gouvernement, ces deux projets de loi n’ont pas été adoptés. La Loi fait également suite à la Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État, adoptée en 2018, encadrant les demandes d’accommodements raisonnables.
Les contestations
Trois (3) contestations ont été déposées devant les tribunaux québécois, une par la Coalition Inclusion Québec (une association militante pour les droits des immigrants), une par la Commission scolaire English-Montréal (le réseau anglophone montréalais d’écoles primaires et secondaires) et une autre par la Fédération autonome de l’enseignement (un syndicat d’enseignant) ; contestations qui, notamment, présentent des preuves documentées sur la présence plus importante numériquement de femmes musulmanes portant le hijab qui seraient touchées par la Loi sur la laïcité de l’État. En parallèle de ces contestations, d’autres contestations ont été déposées devant les tribunaux afin de faire suspendre immédiatement l’application de la Loi, sans succès.
Bertrand Lavoie
- Juin 2019 : Entre laïcité et neutralité religieuse au Québec
Au mois de juin 2019, le Québec a adopté un projet de loi sur la laïcité dont nous résumons ici le sens et expliquons l’origine du débat. Comme dans plusieurs régions du monde, le Québec est, depuis près de vingt ans, agité par des débats publics concernant les nouvelles vagues migratoires et certaines minorités religieuses. Le concept de « laïcité ouverte » fait son apparition discrète, en 1999, dans un rapport sur la religion à l’école commandé par le gouvernement du Québec. La laïcité ne commencera à faire l’objet de discussions publiques que quelques années plus tard, en 2007-2008, autour du débat virulent sur les accommodements raisonnables (voir une définition sur EUREL).
Laïcité ouverte à l’école
En 1999, un comité d’étude sur la religion à l’école, présidé par le journaliste et professeur Jean-Pierre Proulx, fait paraître un rapport intitulé Laïcité et religions. Perspectives nouvelles pour l’école québécoise. Le rapport Proulx propose le concept de laïcité ouverte comme cadre normatif de sa proposition d’un enseignement culturel de la religion, mais il en développe très peu la teneur. Il s’agit d’une proposition de déconfessionnaliser le système public de l’éducation (niveaux primaire et secondaire), tout en conservant l’enseignement d’une matière dédiée aux cultures religieuses. C’est à ce titre que la laïcité est dite « ouverte », en distinction du système français n’incluant pas de matière spécifique d’enseignement sur la religion. Les écoles primaires et secondaires offraient jusque-là l’option d’une éducation catholique, protestante ou morale, en plus d’une animation pastorale. La parution du rapport est suivie d’une commission gouvernementale qui mène à la déconfessionnalisation du système scolaire. L’animation pastorale fait place à une animation de l’engagement communautaire et de la vie spirituelle, et les options en faveur de l’enseignement moral et confessionnel sont remplacées par un seul programme obligatoire désigné sous le nom d’Éthique et culture religieuse (voir la rubrique Ecole et religion) tant dans les écoles publiques que privées.
Laïcité ouverte et accommodements raisonnables
La discussion sur la laïcité s’approfondit lorsque la notion juridique d’accommodement raisonnable à des demandes de nature religieuse, appliquée au Canada depuis un jugement rendu par la Cour suprême en 1985, donne lieu à des controverses médiatiques. Le tollé est tel qu’il suscite en 2007 la mise sur pied d’une autre commission, connue sous le nom de ses coprésidents Gérard Bouchard et Charles Taylor (Fonder l’avenir 2008). Comptant autour de 300 pages et des dizaines de recommandations, leur rapport suggère notamment un projet de laïcité ouverte, la définissant de manière générale, comme une recherche d’équilibre entre les droits. Bouchard et Taylor la distinguent des régimes imposant « des limites assez strictes à la liberté d’expression religieuse », citant la France et ses politiques d’interdiction de port de symboles religieux à l’école (p. 20). En résumé, le rapport suggère d’accroître la neutralité de l’État en limitant les expressions et symboles religieux présents dans l’arène politique, de conserver les éléments religieux patrimoniaux de type culturel, et d’honorer la jurisprudence concernant les accommodements raisonnables, dans le respect de certaines limites éthiques et culturelles. Ils recommandent en outre d’interdire le port de signes religieux à un nombre restreint de personnes exerçant des fonctions « coercitives » particulières (magistrats et procureurs de la Couronne, policiers, gardiens de prison, président et vice-présidents de l’Assemblée nationale).
Par la suite, ne se succèdent pas moins de quatre projets de loi controversés, voulant faire suite à ce rapport de 2008. Les deux premiers échouent faute de consensus. Le premier, proposé par un gouvernement libéral fédéraliste en 2011, s’intitule Projet de loi n° 94 : Loi établissant les balises encadrant les demandes d’accommodement dans l’Administration gouvernementale et dans certains établissements. Un gouvernement minoritaire péquiste (relatif au Parti québécois ou PQ) propose le second, en 2013, l’intitulant Projet de loi n° 60 : Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement. Les deux projets de loi suivants seront quant à eux adoptés.
Le gouvernement libéral, reprenant le pouvoir, remet un projet de loi sur le métier. Fortement majoritaire, il adopte, en octobre 2017, le Projet de loi n° 62, Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État et visant notamment à encadrer les demandes d’accommodements pour un motif religieux dans certains organismes. Des groupes contestant l’article 10, obligeant à donner ou à recevoir des services à « visage découvert », ont gain de cause, obtenant la suspension de son application par la Cour supérieure du Québec. Il est difficile d’imposer de telles restrictions au Canada, en vertu des chartes des droits et libertés.
À la faveur d’un changement de gouvernement, le parti Coalition Avenir Québec (la CAQ, parti se disant pragmatiquement fédéraliste mais très nationaliste, dont le chef fut ministre péquiste), élu pour la première fois, dépose le 28 mars 2019 le Projet de loi 21 : Loi sur la laïcité de l’État. Afin d’échapper exceptionnellement aux chartes des droits et aux recours aux tribunaux, ce projet prévoit d’utiliser la « clause nonobstant ou dérogatoire » (art. 33), dont l’usage est prévu dans la constitution canadienne pour déroger à certains droits :
« Le Parlement ou la législature d’une province peut adopter une loi où il est expressément déclaré que celle-ci ou une de ses dispositions a effet indépendamment d’une disposition donnée de l’article 2 ou des articles 7 à 15 de la présente charte ; La déclaration visée à l’article (1) cesse d’avoir effet à la date qui y est précisée ou, au plus tard, cinq ans après son entrée en vigueur (33.3) ; Le Parlement ou une législature peut adopter de nouveau une déclaration visée à l’article (1) (33.4) ».
Si les quatre projets de loi abordent plusieurs questions liées aux accommodements raisonnables, les débats se centrent uniquement sur le port de signes religieux. Le parti libéral, tant en 2011 qu’en 2017, se borne à limiter le « visage couvert ». Le Parti Québécois comme la CAQ imposent une interdiction à un grand nombre de fonctionnaires. Le projet de loi 21 présenté par la CAQ va un peu moins loin que le PQ sur ce point, mais son annexe II énumérant les fonctions publiques concernées est très développée, incluant les enseignants du primaire et du secondaire, aspect le plus controversé. La CAQ soutient que toutes ces fonctions exercent un certain pouvoir de « coercition », faisant référence au rapport Bouchard-Taylor (étendant en fait cette notion à plusieurs fonctions autres que le rapport lui-même). La clause dérogatoire fait croire qu’aucune poursuite judiciaire ne pourra contester les applications de la loi 21. Au moment d’écrire ce texte, le projet est pourtant déjà contesté. Une longue bataille judiciaire s’annonce, et les adversaires iront jusqu’à l’ONU s’il le faut. Si la CAQ rêve de reproduire le modèle français républicain, sur cette question, le contexte nord-américain et ses usages plutôt flexibles quant à la liberté de conscience et de religion posent obstacle à une interdiction du port des signes religieux, qui serait dénuée de controverses.
On retiendra ici deux particularités. Dans un premier temps, les projets de loi incluent le concept de laïcité lorsqu’ils sont proposés par des partis caractérisés par leur nationalisme plus affirmé et plus identitaire, alors qu’ils souhaitent distinguer le Québec du reste du Canada. Le parti libéral fait usage du concept de « neutralité religieuse », plus en phase avec le contexte législatif canadien. Dans un deuxième temps, si les projets de loi portent sur la gestion générale des accommodements raisonnables demandés par des individus pour des motifs religieux, les débats se centrent surtout sur les aspects symboliques et vestimentaires, comme ce fut le cas en France d’ailleurs, lors de la commission Stasi en 2003.
Sources :
– Bouchard G. et Taylor C., Fonder l’avenir. Le temps de la conciliation, Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles, 2008.
– Lefebvre, S. et al. (ed.), Dix ans plus tard : La commission Bouchard-Taylor, succès ou échec ?, Montréal : Québec Amérique, 2018, pp. 75-86.
– Lefebvre, S. et al., Public Commissions on Cultural and Religious Diversity : Analysis, Reception and Challenges, UK : Routledge, 2017.
– Proulx J.-P. (prés.), Comité d’étude sur la religion à l’école, Laïcité et religions. Perspectives nouvelles pour l’école québécoise, Québec : Ministère de l’Éducation, Gouvernement du Québec, 1999.
– Plusieurs documents publics peuvent être téléchargés sur le répertoire PLURI.
Solange Lefebvre