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Italie

  • Mai 2017 : cas italien de Kirpan : « Vous devez vous adapter à nos valeurs »

Le 15 mai 2017, la Cour de cassation d’Italie s’est prononcée contre un migrant sikh souhaitant porter en public un kirpan (poignard de 20 cm de long considéré comme l’un des cinq panj kakke, symboles sacrés dans le sikhisme). Saisie d’un recours déposé par le migrant sikh condamné à une amende de 2000 euros pour avoir porté ce poignard, la Haute Cour a justifié sa décision par l’argument de la sécurité publique (voir la loi 110/1975). Cette décision a ébranlé la communauté sikhe dans le monde entier. La plupart d’entre eux considèrent le kirpan, poignard cérémoniel, comme un élément essentiel de leur identité religieuse, au même titre que leurs cheveux non coupés (kesh), un petit peigne de bois (kangha), un sous-vêtement en coton (kachera) et un bracelet de métal (kara), depuis la fin du XVIIe siècle, lorsque le dixième maître sikh, Guru Gobind Singh, établit le Khalsa Panth, conférant aux adeptes du sikhisme une identité distincte. Mejinderpal Kaur, responsable juridique d’United Sikhs, a demandé le renvoi de l’affaire devant le Comité des droits de l’homme des Nations unies et a déclaré « regrettable que le jugement de la Cour suprême d’Italie se fonde sur l’idée que les immigrants devraient vivre à Rome comme les Romains, alors que la liberté de culte est mondiale et transfrontalière ».
De son côté, la Haute Cour italienne a déclaré que s’il est important de reconnaître la diversité religieuse et culturelle dans une société multiethnique, il n’en demeure pas moins que les migrants doivent s’assurer que leurs croyances sont juridiquement compatibles avec les pays d’accueil. Les juges italiens ont donc décidé que la sécurité publique, mise à mal par le port d’une arme, primait sur les droits de l’individu. Afin de justifier et de soutenir cette position, la Cour a notamment affirmé que les migrants qui choisissent de vivre dans le monde occidental doivent se conformer aux valeurs de la société dans laquelle ils ont choisi de s’installer, même si celles-ci diffèrent des leurs. La Cour ne s’est donc pas référée aux principes juridiques, notamment le principe suprême de laïcité (selon les termes de la Cour constitutionnelle d’Italie), comme on aurait pu l’attendre d’un pouvoir judiciaire, mais plutôt aux « valeurs » génériques de la société occidentale (voir aussi : Corte Suprema di Cassazione, Sez. I penale, sent. du 14 juin 2016, n° 24739, et du 16 juin 2016, n° 25163. Sur la décision : A. Licarsto, Il motivo religioso non giustifica il porto fuori dell’abitazione del kirpan da parte del fedele sikh (considerazioni in margine alle sentenze n. 24739 e n. 25163 del 2016 della Cassazione penale)). En outre, la Cour a confondu identité religieuse et immigration : elle n’a pas considéré qu’au nom du droit fondamental à la liberté de culte ainsi que du principe de laïcité, certains Italiens pourraient décider de se convertir au sikhisme, par exemple. En résumé, la Cour a créé un précédent selon lequel tous les migrants doivent « s’adapter » aux valeurs traditionnelles (c’est-à-dire occidentales) qui, sur le fondement des relations entre États et confessions religieuses, sont fortement influencées en Italie par le catholicisme et d’autres croyances (dites traditionnelles). Pour toutes ces raisons, l’arrêt du 15 mai 2017 a suscité un débat animé, alimenté également par certains partis politiques, comme la Ligue du Nord (Lega Nord) et Fratelli d’Italia, qui, ces dernières années, ont protesté à la fois contre l’immigration et les groupes religieux « nouveaux » (c’est-à-dire différents), généralement composés d’immigrants.

Francesco Alicino, Vera Valente
  • Avril 2017 : bénédiction de Pâques dans les écoles publiques en Italie

Les bénédictions religieuses sont autorisées dans les écoles publiques, comme l’a établi la décision du Conseil d’État italien annulant la décision du tribunal administratif régional d’Émilie-Romagne. Un an plus tôt, ce tribunal avait suspendu la décision des 16 membres du conseil d’administration de l’école primaire Giosuè Carducci de Bologne, qui avaient accepté qu’un prêtre catholique romain accorde la bénédiction de Pâques dans cette école publique.
D’un avis général, le Conseil d’État a souligné que la bénédiction ne peut en aucun cas affecter le déroulement de l’enseignement public et de la vie scolaire. Dans le cas de l’école primaire Carducci, le rituel religieux sort du cadre des activités officielles, de sorte que la bénédiction ne peut porter atteinte, de manière directe ou indirecte, à la liberté religieuse de ceux qui, tout en faisant partie de la même communauté scolaire, n’ont aucun lien avec le catholicisme : s’ils craignent d’être lésés par ces rituels religieux, ils peuvent choisir de ne pas y assister.
En outre, le Conseil d’État affirme que la bénédiction n’entre pas en contradiction avec le principe suprême de laïcité (principi supremo di laicità). Comme l’a déclaré la Cour constitutionnelle italienne dans une décision historique de 1989 (n° 203), ce principe ne signifie pas l’indifférence à l’égard des religions, mais l’équidistance et l’impartialité envers les différentes confessions religieuses. En d’autres termes, le principe suprême de laïcité se fonde sur l’attitude positive de l’État à l’égard de toutes les communautés religieuses. Or, c’est là que le bât blesse, comme l’ont souligné les membres de la communauté éducative en désaccord avec la décision du Conseil d’État : en interprétant le principe suprême de laïcité de cette manière, tous les rites religieux devraient être autorisés à se dérouler dans l’enceinte de l’école. Ce principe suprême implique également l’interdiction de toute discrimination fondée sur la religion ou les croyances.
Cet exemple montre que la bénédiction à l’école s’inscrit dans un débat permanent en Italie, qui cherche à savoir où se situe exactement la frontière entre l’Église et l’État. L’argument est que ces rituels, notamment la bénédiction, font partie de l’héritage culturel italien, ce qui est contesté par un groupe de parents et d’enseignants qui ont intenté une action en justice devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Notons qu’en 2011, la grande chambre de la CEDH a annulé une décision antérieure de la section II de la CEDH et a jugé que les écoles publiques italiennes pouvaient accrocher des crucifix, concluant qu’il s’agissait « d’un symbole passif sur le fond, dont l’influence sur les élèves n’est pas comparable à celle d’un discours didactique ou de la participation à des activités religieuses ».
Il importe donc peu de savoir ce que la CEDH décidera dans l’affaire de l’école primaire Giosuè Carducci, car à la lumière des considérations précédentes, nous sommes sûrs qu’à nouveau, la décision aura des conséquences.

Reference : N. Colaianni, "Laicità : finitezza degli ordini e governo delle differenze", in Stato, Chiese e pluralismo confessionale, n° 39, 2013.

Francesco Alicino
  • Janvier 2015 : Lombardie, la nouvelle législation « contre » les mosquées

Aucune organisation islamique n’est formellement reconnue par l’État en Italie à l’exception du Centro Islamico Culturale d’Italia (Centre culturel islamique italien). La reconnaissance officielle des confessions autres que le catholicisme doit être approuvée par un décret du président de la République sur demande du ministre italien de l’Intérieur (voir La Lega Musulmana Mondiale – Italia e il Centro Islamico Culturale d’Italia). Cette reconnaissance ne dépend pas uniquement du nombre de fidèles pour une confession donnée, elle exige également une congruence entre les principes de la confession demandeuse et la Constitution italienne (voir Imams and other Religious Authorities in Italy).
Toute communauté à vocation religieuse peut fonctionner au sein du système juridique italien sans autorisation ou enregistrement préalable. La seule restriction est la protection de l’ordre public et la décence élémentaire. Lorsqu’elles se conforment à ces restrictions, les confessions islamiques et leurs entités légales ont le choix entre différents types de capacité juridique. Elles peuvent, par exemple, se constituer en « associations non reconnues » conformément aux articles 36-38 du Code civil italien. Ce statut est également celui utilisé par les partis politiques et les organisations syndicales. Ce modèle d’association est le plus simple et n’implique pas de contrôle particulier des autorités de l’État. Selon les articles 14-35 du Code civil et selon le décret du président de la République en date de 2000 (n° 361), les communautés à vocation religieuse peuvent également opter pour la forme d’« associations reconnues » qui fournit une personnalité juridique par le biais d’un enregistrement à la préfecture locale. La capacité civile des organisations islamiques pourra également être obtenue par l’article 16 des « Dispositions sur la loi en général » (Disposizioni sulla legge in generale) qui, basé sur le principe de réciprocité, accordera aux groupes musulmans étrangers les mêmes droits que ceux accordés aux entités juridiques italiennes. En d’autres termes, ces groupes peuvent bénéficier des avantages juridiques garantis à toutes les associations privées dépourvues de couleur religieuse.
En résumé, les groupes islamiques peuvent bénéficier des avantages juridiques garantis à toutes les associations privées sans connotations religieuses. Le problème est que l’islam est une religion. De plus, hormis le catholicisme, l’islam est la confession religieuse la plus importante en Italie (voir La presenza islamica in Italia : forme di organizzazione, profili problematici e rapporti con le Istituzioni), bien qu’elle soit pratiquée par une minorité de personnes. Selon des estimations récentes, environ 2% de la population adhère aux croyances islamiques. En dépit de l’immigration illégale qui représente seulement une minorité de musulmans en Italie, la question de l’islam dans l’Italie contemporaine est constamment mise en relation par certains partis politiques (en particulier la Ligue du Nord) avec l’immigration, et plus spécifiquement l’immigration illégale (voir Lega Nord, Matteo Salvini : "Milioni di islamici pronti a sgozzare". Volantini con vignette di Charlie Hebdo). L’Italie ne compte pas une organisation islamique nationale unique, ce qui est aussi le cas dans les autres pays européens. De nombreux groupes islamiques sont locaux, alors que d’autres se réfèrent à des mouvements islamiques transnationaux ou à un état étranger. Les immigrants composent le plus grand nombre des organisations musulmanes islamiques qui, lorsqu’elles souhaitent fonctionner en Italie, doivent respecter les principes de la Constitution italienne. Cependant, ces principes doivent être sérieusement pris en considération pour établir une connexion appropriée entre l’État et les organisations islamiques qui pourront solutionner certains problèmes concernant les lieux de cultes, à savoir les mosquées (voir Edilizia ed edifici di culto).
Dans ce contexte, il est important de noter que le gouvernement italien a pris une mesure pour bloquer la construction de nouveaux édifices religieux en Lombardie, la région la plus peuplée d’Italie, par la loi n° 62/2015. Le Gouvernement a déclaré que cette loi rendrait pratiquement impossible la construction de nouvelles mosquées dans cette région. En fait, cette nouvelle législation est devenue la loi anti-mosquées. Elle a été approuvée par le Conseil régional dominé par l’aile droite à la fin de janvier 2015 (voir Legge anti-moschee Lombardia, il governo la impugna. Maroni : “Ritorsione”). Face au tollé provoqué par ce que les critiques considèrent comme une mesure nettement discriminatoire en Lombardie, y compris sa capitale Milan, le Gouvernement de centre-gauche (emmené par Matteo Renzi, le leader du parti démocrate) a décidé de faire examiner les nouvelles règles régionales par la Cour constitutionnelle.
L’objectif de cette nouvelle loi est clairement d’imposer des dispositions plus strictes et plus sévères aux groupes des minorités religieuses pour lesquels il devient alors pratiquement impossible de respecter la loi. Il leur sera alors impossible d’ériger des nouveaux édifices religieux sur le territoire lombard. Les critiques affirment que la loi de Lombardie est une violation de la Constitution de 1948 sur plusieurs plans et que cette nouvelle règlementation est destinée à être cassée par la Cour constitutionnelle.
Les juges de la Consulta doivent en effet considérer si les nouvelles dispositions constituent une violation des garanties de la liberté religieuse (article 19 de la Constitution italienne), si la région a outrepassé son pouvoir en redéfinissant la relation entre l’État et la religion (article 117 de la Constitution italienne), et si la nouvelle loi laisse trop d’éléments à la discrétion des maires locaux. La nouvelle loi et ses dispositions introduisent une série de nouveaux critères en particulier en matière de politique urbaine et citadine. Ces nouveaux critères sont ajoutés à ceux déjà précédemment en vigueur, c’est à dire ceux concernant la représentativité des groupes et d’autres aspects administratifs. De manière générale, trois points critiques sont à dénombrer dans la nouvelle loi régionale : les groupes auxquels ils s’appliquent ; le pouvoir des autorités locales durant les négociations ; les exigences supplémentaires auxquelles les communautés doivent répondre pour obtenir un permis de construire.
Par exemple, l’une des dispositions de la loi lombarde prévoit que les maires locaux qui ne sont pas en faveur de la construction d’une nouvelle mosquée peuvent organiser un référendum avant d’accorder ou de refuser le permis de construire. La loi stipule également que les dimensions et les proportions architecturales de tout nouveau lieu de culte doivent être cohérentes avec le paysage lombard. Cette condition apparaît clairement par écrit pour bloquer tous les plans comportant des minarets, la haute tour élancée qui fait le plus souvent partie intégrante d’une mosquée. Selon cette nouvelle loi lombarde, toute personne souhaitant construire un nouveau lieu de culte pour une religion non officiellement reconnue par l’État s’expose à une longue liste de restrictions spécifiques allant de la taille du parking associé à l’apparence extérieure des bâtiments. Puisque l’islam est l’unique religion majeure non reconnue par la République italienne, les nouvelles dispositions sont considérées comme visant spécifiquement les musulmans en Italie alors qu’ils sont plus d’un million.
La décision du Gouvernement de Matteo Renzi de bloquer le projet de législation de la Lombardie a provoqué une réponse cinglante de la part de Matteo Salvini, le leader du parti d’extrême droite de la Ligue du Nord. Il a déclaré que Renzi et le ministre de l’Intérieur, Angelino Alfano, sont les nouveaux imams. Il faut noter que la Ligue du Nord est la force dominante de la coalition qui dirige la région lombarde.

Simona Attollino
  • Avril 2012 : L’arrêt Sessa contre Italie de la Cour européenne des droits de l’homme

Un avocat juif demande à ce qu’une audience ne se tienne pas le jour de Kippour. Il lui est répondu qu’il peut envoyer un remplaçant et que de toute façon, compte tenu de la nature de l’audience, sa présence n’est pas obligatoire. Les juges italiens ont rejeté l’appel de l’avocat et la Cour de Strasbourg a cautionné la position italienne. Cependant, trois juges sur sept ont présenté une opinion dissidente exprimant l’avis qu’un aménagement raisonnable était possible et que par conséquent les autorités italiennes ont bien lésé la liberté religieuse de l’avocat.

Voir l’article complet de Marco Ventura sur le site du Corriere (en italien).

  • 2004 : Islam, communautés religieuses minoritaires et protection juridique du statut des cultes

La diffusion des nouveaux mouvements religieux et le défi de l’islam soulignent les limites du système italien de droit des religions fondé sur la différence de statut juridique entre les groupes ayant signé une entente avec le gouvernement (et jouissant d’un statut privilégié) et les autres. Les Témoins de Jehova et les Bouddhistes ont signé un accord en 2000 (avec un gouvernement de centre gauche), mais le Parlement (dont la majorité appartient désormais au centre droite) a de fait refusé de reconnaître cet accord et de le transformer en loi, si bien que le statut de ces groupes n’a pas changé depuis. D’énormes problèmes se posent aussi par rapport aux communautés islamiques à cause de la conjoncture internationale. Des musulmans ont fait l’objet d’expulsions pour des raisons plutôt politiques que légales, une appréciation judiciaire des cas n’étant pas intervenue. De plusieurs côtés, et notamment de la part de plusieurs évêques catholiques, on a aussi proposé que la loi sur l’immigration limite l’accès aux immigrés musulmans qui ne sauraient pas s’intégrer dans un pays catholique.
Le gouvernement Berlusconi a présenté en 2002 un projet de loi sur la liberté religieuse (qui reprend les projets des gouvernement Amato et Prodi) réformant le système de droit commun de régulation du statut des minorités religieuses.

Voir le projet de loi "sur la liberté religieuse" du gouvernement Berlusconi réformant le droit commun s’appliquant aux groupes religieux en Italie présenté le 18 mars 2002.

Marco Ventura

D 29 mai 2017    AFrancesco Alicino AMarco Ventura ASimona Attollino AVera Valente

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