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Questions d’actualité et deux études de cas

Les sociologues de la religion ont récemment souligné une surexposition de la religion dans les médias. La religion et, plus précisément l’islam est un sujet très à la mode. Par "surexposition" on entend que la religion est présente plus fréquemment dans les médias que dans d’autres sphères publiques et même dans les débats politiques. Dans les colonnes et les débats de certains journaux, entre 2000 et 2010, un commentaire sur quatre concernait la religion, avant tout comme après la publication des caricatures de Mahomet en 2005.

Cependant, un point particulier à noter ici est que ce n’est pas la religion en tant que telle à laquelle il est fait référence ou qui est présentée, mais les opinions et les attitudes envers les religions, qu’elles soient politiques ou autres. Les gens ne deviennent pas plus religieux, mais la religion est contestée plus sévèrement dans les médias, ce qui constitue une forme d’expression de l’opinion. De plus en plus de gens se font des opinions plus ou moins réfléchies sur la religion, ce qui constitue réellement le contexte qui a mené à la crise des caricatures.

Cas 1 : La crise des caricatures et la liberté d’expression face à la religion

Nous n’entrerons pas ici dans les détails de l’histoire de la crise des caricatures de Mahomet, mais soulignerons certains aspects pertinents.

Tout d’abord, tout au long des cinq années qui se sont écoulées depuis la première publication des caricatures, le journal Jyllands-Posten a répété qu’il était protégé par la liberté d’expression. Différentes personnalités clés dans cette affaire se sont excusées, de façon limitée cependant dans le sens où elles se sont déclarées désolées pour la peine engendrée tout en affirmant qu’elles n’auraient pas changé quoi que ce soit. Un autre journal, cependant, a présenté ses excuses à "toute personne qui a été offensée". On est donc loin d’un consensus sur cette question dans les médias danois.

Ensuite, cet épisode soulève la question d’une limite volontaire à la liberté d’expression, soit l’autocensure. Le début de la controverse concernait la peur de certains dessinateurs d’avoir à illustrer un livre sur le Coran et l’idée qu’il y avait des choses que les gens pouvaient faire avec la Bible qu’ils ne se permettraient pas de faire avec le Coran. Pour les éditeurs du Jyllands-Posten, on avait là l’illustration d’une (in)égalité des religions et une remise en cause de la liberté d’expression par cette censure auto-imposée.

Après la publication des caricatures, le Premier ministre, Anders Fogh Rasmussen, a été approché par onze ambassadeurs du Moyen-Orient afin de discuter de la "campagne de diffamation" du prophète dans les médias danois. Le Premier ministre ne voulait ni s’excuser ni poursuivre l’affaire en justice, étant donné que la loi avait été respectée et il a utilisé - plutôt paradoxalement - la doctrine luthérienne pour justifier le fait que la religion et la politique ne doivent pas être mélangées. Le 13 octobre 2010, le ministre des Affaires étrangères danois a rencontré au Caire le grand imam de la mosquée d’Al-Azhar et a qualifié le mal infligé aux musulmans de "très regrettable". Cela a été reçu comme une excuse par les médias égyptiens, mais le ministre des Affaires étrangères et le grand imam ont souligné tous les deux que ce n’était pas une excuse. Ils affirment qu’il y a une différence entre le mal infligé et les caricatures elles-mêmes.

Cas 2 : ROJ TV, les médias dissidents et le terrorisme

Lorsque l’ancien Premier ministre, Anders Fogh Rasmussen - devenu célèbre au plan international pendant la crise des caricatures - devint candidat pour un poste de secrétaire général de l’OTAN, la Turquie a émis de vives protestations - non pas à cause de la crise des caricatures, mais parce que le Danemark avait permis à ROJ TV de fonctionner. ROJ TV fait l’objet d’une enquête depuis 2005, car la Turquie affirme qu’elle bénéficie du soutien des séparatistes kurdes (PKK) et qu’elle répand donc le message terroriste kurde. Lors des audiences pour la nomination de M. Anders Fogh Rasmussen, la police danoise et le procureur de la République se sont rendus en Turquie pour négocier et enquêter plus en avant. Cela a apparemment convaincu le gouvernement turc qui l’a interprété comme une réponse positive à ses demandes.

En mars 2010, le Conseil civil - institution de surveillance mise en place par le gouvernement a décidé que l’apport financier de ROJ TV était illégal. Ce soutien financier est estimé à environ 118 millions de couronnes danoises (15 millions d’euros). Dans les mois qui suivirent, des journalistes de différents journaux ont affirmé dans une série d’articles que ROJ TV était plus proche du PKK qu’on l’avait supposé précédemment.

Tout cela a conduit le ministre de la Justice à demander au ministère public, le 31 août 2010, d’engager des poursuites judiciaires contre ROJ TV et les sociétés affiliées. Des perquisitions et la confiscation d’ordinateurs et d’archives ont eu lieu. Il n’y a pas eu de poursuites contre des personnes impliquées et le procureur veut que le tribunal évalue d’abord les droits de diffusion de ROJ TV. Rien n’a été dit sur l’incitation au terrorisme ou quoi que ce soit de semblable. On spécule pourtant que l’action en justice contre ROJ TV, qui est susceptible de mettre fin définitivement à ses retransmissions, dépend surtout des négociations menées avec Abdullah Öcalan. Celui-ci dirige apparemment toujours de nombreuses opérations du PKK depuis sa cellule de prison et le gouvernement turc de M. Erdogan a voulu s’assurer le soutien kurde pour le référendum constitutionnel organisé le 12 septembre 2010. L’idée était que le référendum, qui a été un succès, pouvait aider à ouvrir la voie de l’adhésion turque à l’Union européenne et, dans un sens, l’action en justice contre ROJ TV faisait également partie de la même démarche. Il reste à savoir ce que décidera la cour.

D 13 septembre 2012    ANiels Valdemar Vinding

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