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2018

  • 31 mai 2018 : interdiction de se couvrir le visage

Le 31 mai, le Parlement danois a adopté à la majorité l’interdiction de se couvrir le visage. Dans les faits, ce sujet a été abordé comme une interdiction de porter le niqab ou la burka.

L’interdiction, qui modifie le Code pénal danois, intervient après de nouvelles discussions qui se sont tenues en 2017 et 2018. La question de la criminalisation du port de la burka ou du niqab a été débattue en 2009 et 2010, mais la question s’était apaisée après qu’un rapport scientifique a mis en lumière qu’un maximum de 200 femmes portaient la burka ou le niqab au Danemark.

Il n’existe actuellement aucune jurisprudence ni aucun rapport indiquant si l’article modifié du Code pénal danois a déjà été utilisé. Son applicabilité a été considérablement limitée et ne s’applique pas lorsqu’un but légitime est invoqué.

Le projet de loi qui modifie l’article 134 (c) du Code pénal danois se présente désormais comme ceci :

« § 134 (c). Tout port d’un vêtement qui dissimule le visage d’une personne dans un lieu public est passible d’amende. Sous-article 2. L’interdiction visée au premier paragraphe ne s’applique pas si le vêtement dissimule le visage dans un but légitime. » (cf. projet de loi commenté, en danois).

Le ministère de la Justice explique l’applicabilité de l’interdiction en ce qui concerne le « but légitime », notamment dans les commentaires du projet de loi.

« 3.2.3. L’interdiction de porter un vêtement qui dissimule le visage ne s’applique pas si cette dissimulation sert un objectif crédible.
Il conviendra d’évaluer de manière concrète, dans chaque cas, si la dissimulation du visage, telle qu’elle est visée par l’interdiction, répond à un but légitime. Cette évaluation tiendra compte de la nature du vêtement, de son utilisation réelle et de la situation dans laquelle il est porté. En dehors d’un contexte où elle sert un but légitime, cette dissimulation sera interdite. Le fait qu’une personne soit en route vers ou depuis un lieu, un contexte, etc. où le fait de dissimuler son visage répond à un but légitime n’autorise pas en soi à se couvrir le visage pendant le transport normal vers ou depuis ce lieu, ce contexte, etc. Exemple de but légitime à la dissimulation du visage : le port d’une écharpe, d’un chapeau ou d’autres articles similaires pour se protéger du froid ne sera pas soumis à l’interdiction si, dans ce cas, compte tenu de la saison et des conditions météorologiques, le vêtement doit être considéré comme une pièce d’habillement habituelle et raisonnable. L’interdiction ne s’applique généralement pas aux costumes et masques utilisés dans le cadre de carnavals, de jeux réguliers, d’Halloween, de fêtes costumées, de manifestations sportives, etc. En outre, elle ne s’applique pas davantage aux masques et aux casques utilisés dans le cadre de la chasse, de la pêche, de la pratique sportive et autres, comme des équipements de sécurité ou de camouflage, s’ils sont utilisés de manière habituelle et raisonnable. Enfin, elle ne s’applique pas non plus aux pansements médicaux et autres, utilisés pour des raisons de santé. Les buts légitimes peuvent englober la dissimulation du visage dans un contexte professionnel spécifique si le vêtement est utilisé de manière habituelle et juste, comme un équipement de protection ou de sécurité (casque de protection, protection respiratoire, etc.). Ils englobent également les « masques de magasin » ou vêtements similaires portés de manière habituelle et raisonnable par le personnel d’un magasin, d’un centre commercial, etc. Par ailleurs, la dissimulation du visage répondra manifestement à un but légitime si elle est réalisée conformément aux exigences légales et autres, par exemple les règles du code de la route relatives à l’utilisation d’un casque au volant d’une motocyclette, etc. Dans la mesure où la dissimulation du visage est considérée comme une expression d’opinion, elle peut être protégée par la liberté d’expression. Cet aspect doit être pris en compte au moment de déterminer si la dissimulation du visage répond à un but légitime. De même, il faudra déterminer si elle se produit d’une manière et dans un contexte concret étroitement liés à l’exercice de la liberté de culte, etc. En principe, la dissimulation du visage pour des raisons religieuses n’est pas interdite lorsqu’il s’agit d’un acte religieux spécifique ou autre, par exemple dans un édifice religieux ou dans le cadre d’un mariage ou d’un rite funéraire, etc. En dehors de ces contextes religieux spécifiques, notamment durant le transport normal vers et depuis le lieu où se déroule un acte religieux, le seul motif du fait religieux pour légitimer la dissimulation du visage ne suffira pas... »

Dans ce commentaire du ministère de la Justice, il apparaît clairement que les circonstances dans lesquelles s’applique l’interdiction sont limitées, de sorte que les forces de l’ordre disposent d’une grande marge d’interprétation, entre fêtes costumées, liberté d’expression et liberté de culte (même si l’interprétation est alors plus étroite). En outre, il appartient à chaque officier de police d’évaluer s’il s’agit d’une affaire criminelle ou relevant des services sociaux :

« Si la police soupçonne que la personne est soumise à un contrôle social négatif, en lien par exemple avec une violation de l’interdiction de se dissimuler le visage, c’est-à-dire si la personne exprime une contrainte ou une autre pression exercée pour qu’elle porte un vêtement couvrant le visage, la police doit évaluer s’il existe une base pour enquêter sur une infraction pénale éventuelle ou si la personne doit se voir proposer une aide et un soutien. »

Globalement, ce projet de loi et son amendement son conçus, en partie, pour provoquer et décourager les « éléments islamistes » et, en partie, pour satisfaire les politiciens et les électeurs de droite.

Manifestement, ce projet symbolique vise ces deux facettes. En examinant le texte du commentaire dans son entièreté, on saisit sans peine que ce sujet brûlant a été rendu inoffensif bien avant que le projet soit entériné. Il semble peu vraisemblable que le Danemark connaisse des cas graves de ce genre. Si tel est le cas, ce sera le fait d’activistes, comme celui de ce « groupe de femmes pour le dialogue » qui s’est présenté au parlement en portant le voile intégral, qui chercheront délibérément à tester les limites du projet de loi dans le cadre de son application devant les tribunaux.

Niels Valdemar Vinding
  • 2 mars 2018 : la mosquée Mariam de Copenhague, dirigée par des femmes

Les médias locaux et internationaux ont assisté à l’inauguration, en février 2016, de la (prétendue) première mosquée dirigée par des femmes dans toute la Scandinavie. L’inauguration d’une nouvelle mosquée n’est en réalité pas particulièrement inhabituelle au Danemark : leur nombre total dans le pays est passé d’environ 115 en 2006 à près de 170 dix ans plus tard (Kühle Lene & Malik Larsen, Moskéer i Danmark II, 2017). La raison évidente de cette importante couverture médiatique était claire : la mosquée se différenciait de la grande majorité des mosquées danoises et européennes en ayant un certain nombre de femmes comme imams et une congrégation exclusivement féminine pendant la prière du vendredi. Si la mosquée Mariam est la première à avoir des femmes imams, elle n’est pas la première mosquée danoise à proposer la prière du vendredi exclusivement aux femmes. Ce titre revient à une mosquée chiite bien moins connue, située à Aarhus, la deuxième ville du Danemark. Les femmes à l’origine de cette mosquée rassemblaient déjà des fidèles depuis une dizaine d’années lorsque la mosquée Mariam a ouvert ses portes en 2016, et se réunissent encore plusieurs fois par semaine pour prier et écouter les prêches tenus à tour de rôle par les fidèles, toutes des femmes. Dans les mois qui ont suivi son inauguration, la mosquée Mariam a fait l’objet d’un débat entre musulmans et non-musulmans, ces derniers y voyant souvent l’expression d’une réforme nécessaire de l’islam, plus en phase avec les valeurs occidentales telles que l’égalité entre les hommes et les femmes. L’accueil de leurs coreligionnaires musulmans a cependant été moins favorable, soulevant les critiques ou l’ignorance passive. Les critiques ont porté sur le rejet d’une déclaration faite par la principale femme imam, Sherin Khankan, selon laquelle les mosquées danoises devraient remettre en question les structures patriarcales pour accorder davantage de place aux femmes. D’autres imams, publiquement connus comme « modérés » ou « libéraux », ont également critiqué l’approche théologique non traditionnelle de la mosquée Mariam, qui soutient par exemple les mariages interreligieux entre des femmes musulmanes et des hommes chrétiens ou juifs. Pour la majorité des musulmans, ces mariages ne sont autorisés que dans la disposition inverse. Cette spécificité a été en partie à l’origine du départ du projet de l’une des deux imams fondatrices (qui a tenu le tout premier prêche dans la mosquée) à l’été 2017 en raison de désaccords théologiques. La mosquée dirigée par des femmes s’est déclarée profondément inspirée par le soufisme, ou spiritualisme islamique.

La mosquée Mariam est située dans un grand appartement jouxtant la rue commerçante principale, au cœur de Copenhague, mis à disposition par le célèbre photographe et conférencier Jacob Holdt. Sa situation centrale ne signifie toutefois pas que la mosquée propose des prières quotidiennes ou des sermons hebdomadaires le vendredi. Depuis son inauguration, la mosquée n’a été ouverte à la prière publique qu’une fois par mois, ce qui pourrait s’expliquer en partie par le courant de pensée islamique dominant selon lequel la prière du vendredi n’est obligatoire que pour les hommes, et non pour les femmes. La faible fréquence des activités, combinée au nombre réduit de participants (généralement pas plus de 20 personnes), peut appeler à se demander s’il s’agit d’une « vraie » mosquée ou non. Les initiateurs du projet, pour leur part, la considèrent bien comme telle et ont déclaré dès le départ qu’à terme, elle ne devrait pas seulement servir aux femmes, mais aussi aux hommes, ce qui est déjà le cas pour les activités autres que la prière du vendredi. Au cours des deux premières années, plus d’une douzaine de mariages islamiques et une poignée de divorces ont été célébrés, sans toutefois jouir de validité civique, car la mosquée n’a pas encore obtenu la reconnaissance officielle de l’État, qui confère le droit de célébrer des mariages et des divorces légalement reconnus. Il s’agit toutefois d’un objectif à court terme. Parmi les autres activités proposées par la mosquée, l’on peut citer l’accompagnement spirituel et la thérapie islamique, la méditation islamique, ou dhikr, et l’accueil de visites d’écoles publiques et d’autres institutions.

En 2017, la mosquée a élargi ses activités en créant une académie islamique baptisée MIA (Mariam Mosque’s Islamic Academy), qui propose des cours plus brefs sur différents sujets comme le féminisme dans l’islam et la philosophie islamique. Ces cours sont dispensés par des personnes appartenant ou non au réseau de la mosquée Mariam, dont certains chercheurs de l’Université de Copenhague. L’académie s’adresse surtout (mais pas uniquement) aux femmes ayant manifesté un intérêt à devenir imam. Pour être considérées comme futures imams, les candidates doivent présenter des attestations d’études pertinentes (par exemple en psychologie ou en études islamiques) délivrées par des universités occidentales classiques. Cet exemple d’entrelacement de connaissances issues de différents types de raisonnements normalement considérés comme différenciés (par exemple, la science et la religion) semble être l’un des points positifs de l’ensemble du projet de la mosquée Mariam.

Malik Larsen

D 20 juin 2018    AMalik Larsen ANiels Valdemar Vinding

CNRS Unistra Dres Gsrl

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