eurel     Données sociologiques et juridiques sur la religion en Europe et au-delà

2018

  • Juin 2018 : crise constitutionnelle en Pologne (2015-2018)

En octobre 2015, le parti Droit et justice (en polonais Prawo i Sprawiedliwość, mieux connu sous son acronyme PiS) a obtenu la majorité des sièges au Sejm (chambre basse du parlement polonais). Il a rapidement entrepris une série de modifications dans de nombreuses institutions démocratiques du pays, notamment dans la Cour constitutionnelle, ce qui n’a pas manqué de déclencher une crise qui se prolonge encore aujourd’hui et empêche l’action de la Cour constitutionnelle qui ne peut jouer son rôle, prévu par la Constitution, de gardien de la démocratie, de l’État de droit et des droits de l’homme. L’État de droit, mais aussi la démocratie et les droits de l’homme, sont menacés tant que cette situation n’est pas réglée et tant que la Cour constitutionnelle ne peut effectuer son travail de manière efficace.

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  • Juin 2018 : refus de servir une organisation LGBT : le cas d’un employé d’une imprimerie

Adam J., l’employé d’une imprimerie de Łódź qui avait refusé d’imprimer un support promotionnel pour la Fondation LGBT Business Forum, a finalement été condamné. Le tribunal de district de Łódź a confirmé le verdict du tribunal de première instance (tribunal régional de Łódź), qui avait déclaré l’employé coupable en se fondant sur l’argument selon lequel « toute personne a droit à l’égalité de traitement, indépendamment de son orientation sexuelle ». Le jugement définitif a été annoncé par la Cour suprême le 14 juin 2018.

Circonstances de l’affaire (voir la chronologie)

La Fondation LGBT Business Forum a contacté l’imprimerie par courriel afin de demander l’impression de support promotionnel. La réponse de l’imprimerie à ce projet, également envoyée par courriel, fut celle-ci : « Je refuse d’imprimer une bannière enroulable avec les images que j’ai reçues. Nous ne contribuerons pas, par notre travail, à la promotion du mouvement LGBT. »

En juin 2016, le tribunal régional de Łódź avait décidé que l’employé de l’imprimerie avait commis une infraction au regard de l’art. 138 de la loi du 20 mai 1971 du Kodeks wykroczeń (Code des délits), selon lequel « quiconque fournit des services de manière professionnelle et exige et facture un paiement supérieur aux dispositions légales ou refuse, de manière intentionnelle et sans raison justifiée, le service requis est passible d’une amende ». L’employé avait été condamné à une amende de 200 zlotys.

À son tour, le tribunal de district a jugé l’affaire (jugement Sąd Okręgowy w Łodzi du 26 mai 2017, sygn. akt V Ka 557/17) et a reconnu l’employé coupable. Pour justifier son verdict, le tribunal a exprimé sans ambiguïté que la motivation de l’employé de l’imprimerie était fondée sur « la perception négative de la communauté LGBT » et a souligné que « les croyances de l’employé ne constituent pas une raison légale de refuser un service à des organisations comme la Fondation LGBT ». Ce jugement était alors définitif. Le ministre de la Justice s’est joint à la procédure et a formé un pourvoi en cassation contre le jugement du tribunal de district auprès de la Cour suprême. La décision est définitive (jugement de la Cour suprême du 14 juin 2018).

Contexte juridique et sociologique de l’affaire

Le système juridique polonais se fonde, notamment, sur l’égalité de traitement. Selon l’art. 32, paragraphe 2, de la Constitution de la République de Pologne, « nul ne peut subir de discrimination dans la sphère politique, sociale ou économique pour quelque raison que ce soit ». La discrimination d’accès aux biens et aux services en fonction des caractéristiques personnelles est donc bien illégale. Les dispositions de la loi du 3 décembre 2010 o wdrożeniu niektórych przepisów Unii Europejskiej w zakresie równego traktowania (« Loi sur l’égalité de traitement ») énumère le sexe, l’âge, le handicap, la religion, la conviction, l’origine ethnique, la nationalité et l’orientation sexuelle comme des caractéristiques personnelles ; le refus de fournir un service en raison de l’une de ces caractéristiques du client constitue une infraction délibérée et dénuée de motif valable. Le prestataire de services n’est pas en droit de catégoriser ou de sélectionner les clients sur le fondement de leurs caractéristiques personnelles, qui n’ont aucune incidence sur la relation commerciale.

Le Bureau du Médiateur a été saisi de nombreuses plaintes relatives à la violation du principe d’égalité de traitement dans l’accès aux services : le propriétaire d’un magasin de chaussures à Tarnobrzeg, qui a refusé de servir un client en fauteuil roulant (jugement Sądu Rejonowego w Tarnobrzegu du 8 mars 2013, sygn. akt II W 13/13), le propriétaire d’un magasin de vêtements qui a interdit l’entrée à des clients avec des poussettes (jugement Sądu Rejonowego dla Warszawy-Woli w Warszawie du 5 décembre 2016, sygn. akt V W 4937/16), le propriétaire d’une discothèque qui a refusé l’entrée d’un concert à une personne en fauteuil roulant (jugement Sądu Rejonowego Warszawa Śródmieście w Warszawie du 26 février 2018, sygn. akt XI W 5001/17). Dans deux cas, le tribunal a renoncé à imposer une sanction ; dans d’autres, il a imposé des amendes de 20 à 500 zlotys.

Les tribunaux ont souligné que l’employé n’avait pas le droit de représenter l’imprimerie, car il n’en était pas le propriétaire. Le principe de liberté contractuelle ne lui permettait donc pas d’interférer dans le contenu du contrat légal conclu entre l’imprimerie et un bénévole LGBT par le biais du site Web de l’imprimerie et de l’expression « commandez maintenant, livraison gratuite ». Au cours de l’affaire, un employé de l’imprimerie a expliqué : « Je suis catholique, je respecte tout le monde, notamment les homosexuels, mais ma conscience m’empêche de promouvoir de tels comportements ». Aucun des deux tribunaux n’a reconnu que l’impression du support promotionnel aurait violé les règles d’une religion ou d’une conviction. La Cour suprême a par ailleurs souligné que le prestataire est tenu de fournir les services, car il les propose au public.

Le tribunal de district a pour sa part précisé que « l’ordre religieux doit être séparé de l’ordre juridique, et que la loi garantit à chacun le droit à l’égalité de traitement ». Pour l’avocat de l’employé de l’imprimerie, le refus de celui-ci est directement protégé par la liberté de religion, en vertu de l’art. 53, paragraphe 1 de la Constitution.

L’employé a reçu le soutien massif des avocats de l’Ordo Iuris Institut. Son avocat a souligné que cette affaire revêt un rôle important pour l’ensemble du système juridique polonais et qu’il est nécessaire que la Cour suprême le prenne en charge.

L’avocat de la Fondation LGBT a pour sa part estimé correct le verdict du tribunal de district (qui a jugé coupable l’employé). Le principe d’égalité est protégé par la loi et ce verdict contribuera à en assurer le respect social. Pour l’avocat de la Fondation LGBT, cette affaire permettra à l’avenir de mieux protéger l’ensemble des minorités.

Toute la procédure a été suivie par les représentants de plusieurs ONG, telles que la Fondation d’Helsinki pour les droits de l’homme, la Société polonaise de droit de la non-discrimination, Court Watch Pologne et la Campagne contre l’homophobie.

Caractère constitutionnel de l’art. 138 du Code des délits

À la lumière de cette affaire, le ministre de la Justice a soumis, fin 2017, une demande à la Cour constitutionnelle afin d’examiner l’incompatibilité de l’art. 138 du Code des délits avec les principes constitutionnels d’État de droit démocratique (art. 2), de liberté de conscience et de religion (art. 53) et de liberté d’activité économique (art. 22). L’art. 138 du Code des délits sert avant tout à protéger contre la discrimination dans le domaine de l’accès aux services.

Le Médiateur, qui s’est joint à la procédure dans cette affaire, a demandé à la Cour constitutionnelle de déclarer l’art. 138 du Code des délits conforme à la Constitution et a déclaré que le principe de liberté de conscience et de religion n’est pas le modèle de contrôle adéquat en l’espèce, car ce principe ne justifie par le refus de fournir un service en raison des caractéristiques personnelles du client. Il peut, dans certains cas, justifier le refus de fournir un service, mais uniquement si ce refus découle directement d’une religion ou d’une conviction spécifique. On pourrait ainsi l’envisager dans des situations où une confession ou une croyance établit une obligation morale, imposée par la religion et largement acceptée, de refuser un service ; par exemple, il serait raisonnable d’envisager le refus pour un adventiste du septième jour de fournir un service le samedi.

  • Mai 2018 : nouvelles règles sur la protection des données à caractère personnel dans l’Église catholique

Après son recognitio (approbation officielle du Saint-Siège) le 30 avril 2018, le Dekret ogólny w sprawie ochrony osób fizycznych w związku z przetwarzaniem danych osobowych w Kościele katolickim (décret général relatif à la protection des personnes à l’égard du traitement des données à caractère personnel dans l’Église catholique), que la Conférence épiscopale polonaise a adopté le 13 mars 2018 lors de sa 378e assemblée plénière, a été légalement promulgué.

Jusque-là, les règles relatives à la protection des données à caractère personnel dans l’Église catholique se retrouvaient dans de nombreux documents différents (instrukcja Konferencji Episkopatu Polski z 1947 r. o prowadzeniu ksiąg parafialnych ochrzczonych, bierzmowanych, małżeństw i zmarłych oraz księgi stanu dusz, Zasady postępowania w sprawie formalnego aktu wystąpienia z Kościoła, modifié par le Dekret Ogólny Konferencji Episkopatu Polski w sprawie wystąpień z Kościoła oraz powrotu do wspólnoty Kościoła, entré en vigueur le 19 février 2016).

Le Code de droit canonique de 1983 soulignait également la norme générale de protection des données à caractère personnel. Le canon 220 annonce en effet : « Il n’est permis à personne de porter atteinte d’une manière illégitime à la bonne réputation d’autrui, ou au droit de quiconque à préserver son intimité ».

Le décret général relatif à la protection des personnes à l’égard du traitement des données à caractère personnel dans l’Église catholique (ci-après dénommé « le Décret général ») vise à aligner les règles existantes au sein de l’Église concernant la protection des personnes par rapport au traitement des données à caractère personnel avec le Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, qui sera appliqué à partir du 25 mai 2018.

L’art. 91 du Règlement général sur la protection des données de l’UE précise que :

« 1. Lorsque, dans un État membre, des églises et des associations ou communautés religieuses appliquent, à la date d’entrée en vigueur du présent règlement, un ensemble complet de règles relatives à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement, elles peuvent continuer d’appliquer lesdites règles à condition de les mettre en conformité avec le présent règlement. »

Le paragraphe suivant ajoute que « les églises et les associations religieuses qui appliquent un ensemble complet de règles conformément au paragraphe 1 du présent article sont soumises au contrôle d’une autorité de contrôle indépendante qui peut être spécifique, pour autant qu’elle remplisse les conditions fixées au chapitre VI du présent règlement ». Or, le Décret général établit le contrôleur de la protection des données au sein de l’Église comme autorité de contrôle indépendante. Le 2 mai 2018, le révérend Piotr Kroczek fut élu à la fonction de contrôleur des données à caractère personnel au sein de l’Église.

Le Décret général de la Conférence des évêques polonais fut préparé par une équipe d’experts nommés par les évêques. L’un d’eux a déclaré sans ambiguïté que « ce Décret général crée un système autonome de protection des données à caractère personnel utilisé par l’Église catholique. De mon point de vue, ce système semble respecter l’art. 91 du Règlement général sur la protection des données ainsi que les dispositions du Code de droit canonique et du Code des canons des Églises orientales. »

Les dispositions du Décret général définissent des règles et des normes générales de protection du traitement des données à caractère personnel dans l’Église catholique, telles que l’obligation d’informer du traitement des données, le droit à la correction des données et le droit de commenter, compléter ou de limiter le traitement.

En général, l’Église catholique conserve une grande diversité de données à caractère personnel des membres et des non-membres. Le rôle précis de ce Décret général consiste à protéger le droit à l’oubli, qui sera limité selon que les informations concernent les sacrements ou que les données se rapportent au statut canonique de la personne. Il sera toutefois possible de faire respecter le droit à l’oubli, ce qui obligera l’Église catholique à ne pas utiliser ces données sans le consentement de l’évêque ou d’un autre organe ecclésiastique supérieur.

  • Mars 2018 : manifestations de masse en Pologne contre la nouvelle loi sur l’avortement

À Varsovie et dans d’autres villes de Pologne, des manifestations ont rassemblé des milliers de personnes pour protester contre la dernière tentative du gouvernement de restreindre l’accès à l’avortement.

Actuellement, cette opération n’est autorisée que si la vie du fœtus est en danger, s’il existe une menace grave pour la santé de la mère ou si la grossesse est le résultat d’un viol ou d’un inceste (art. 4, a) de la loi du 7 janvier 1993 o planowaniu rodziny, ochronie płodu ludzkiego i warunkach dopuszczalności przerywania ciąży (loi relative à la planification des naissances, à la protection du fœtus humain et aux conditions d’acceptabilité de l’interruption de grossesse).

En 2016, des militants antiavortement, menés principalement par un groupe baptisé Stop Aborcji (« Stop à l’avortement »), avec le soutien indirect de l’Église catholique et du parti au pouvoir Droit et justice, ont tenté d’interdire totalement la pratique. La nouvelle loi, qui menaçait d’emprisonnement les femmes souhaitant subir cette opération ainsi que les médecins qui la pratiquaient, a provoqué une levée de boucliers, avec près de 55 000 personnes qui sont descendues dans les rues de Varsovie. Les manifestants, vêtus de noir (la marche était baptisée « Vendredi noir »), ont défilé dans la capitale jusqu’au siège du parti au pouvoir et du parlement. Plus de 200 ONG ont signé une pétition publique pour rejeter la nouvelle loi.

En 2016, les militants proavortement avaient décidé de riposter avec leur propre proposition de loi, baptisée Ratujmy Kobiety (« Sauver les femmes »), dont l’objectif était de libéraliser la loi en vigueur concernant l’avortement. Au même moment, les groupes antiavortement annonçaient leur volonté d’interdire totalement la pratique. Le 23 septembre 2016, les deux propositions furent présentées lors d’une réunion parlementaire largement couverte par les médias. Le parlement rejeta le projet de loi Ratujmy Kobiety et décida d’envoyer l’autre projet à la commission parlementaire. En réponse à cela, les activistes lancèrent une grève nationale, en se servant des réseaux sociaux pour appeler les femmes soit à ne pas travailler le lundi 3 octobre 2016, soit à porter du noir si elles ne pouvaient faire autrement. La manifestation, connue sous le nom de « Lundi noir », connut un succès médiatique international. Le vote a permis de souligner que seuls les députés du parti au pouvoir sont contre la libéralisation de la loi et le libre accès à l’avortement.

Après les manifestations de mars 2016, le parti polonais Droit et justice a décidé d’abandonner la nouvelle loi antiavortement, mais la pression des groupes religieux l’a poussé à défendre les droits liés à la procréation. La nouvelle loi, entrée en vigueur en juillet 2017, rend obligatoire une ordonnance pour les moyens contraceptifs d’urgence, comme la pilule du lendemain.

En mars 2018, la commission parlementaire avait émis un avis positif sur le projet de loi antiavortement. La proposition de loi soumise par le groupe « Stop à l’avortement » est désormais prête à passer les prochaines étapes du processus parlementaire. Le 23 mars 2018, des milliers de Polonais sont descendus dans la rue pour protester contre l’introduction de cette nouvelle loi restrictive.

  • Février 2018 : « L’enregistrement de mariages homosexuels est inacceptable »

Le 28 février 2018, la Cour administrative suprême a accepté la décision du parquet national et a rejeté la plainte en cassation de deux femmes s’étant mariées à l’étranger et désireuses de faire reconnaître leur mariage homosexuel par le droit polonais.

Dans cette affaire, le responsable du Bureau de l’état civil a refusé d’enregistrer leur état civil par le biais de la transcription de l’acte de mariage étranger des deux femmes, décision confirmée par le voïvode de Poméranie.

Les plaignantes ont formé un recours devant le tribunal administratif provincial de Gdańsk contre le refus d’inscription du mariage par le voïvode de Poméranie. Or, pour le tribunal, la décision du voïvode est conforme au droit polonais.

Alors que l’affaire était pendante devant la Cour administrative suprême à la suite d’un recours en cassation déposé par les plaignantes, le procureur général a émis des recommandations à l’attention de tous les procureurs, dans lesquelles il souligne que « l’inscription dans les documents d’état civil polonais d’un acte de mariage homosexuel établi à l’étranger est inacceptable ».

S’alignant sur la position du parquet national, la Cour administrative suprême a rejeté le pourvoi en cassation des plaignantes (arrêt de la Cour administrative suprême du 28 février 2018, II OSK 1112/16) et a confirmé de manière claire que l’enregistrement d’un « mariage » conclu par des personnes de même sexe est inacceptable en Pologne, bien que le mariage de couples homosexuels soit autorisé légalement dans plus d’une douzaine de pays européens. Elle a donc rejeté le pourvoi en cassation des deux plaignantes, justifiant principalement sa décision par le fait que la Constitution de la République de Pologne définit clairement « le mariage comme l’union d’un homme et d’une femme » (art. 18).

Voir aussi "The legal and sociological situation of same-sex marriage in Poland".

D 28 juin 2018    AMichał Zawiślak

CNRS Unistra Dres Gsrl

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