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2018

  • Octobre 2017 : étude de cas : Zunera Ishaq c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

Le Québec, province canadienne à majorité francophone, a adopté en octobre 2017 un projet de loi interdisant d’avoir le visage couvert dans les services publics. Ce projet de loi vise le port du voile intégral dans les tribunaux compétents. La ministre de la Justice québécoise, Stéphanie Vallée, a toutefois précisé que le projet de loi 62 ne vise pas spécifiquement les symboles religieux, car il s’appliquerait aussi, par exemple, aux capuches, bandanas et lunettes opaques qui masqueraient le visage. La question du voile intégral n’est pas neuve au Canada.

Le 16 novembre 2015, le Canada est devenu la première démocratie occidentale à lever légalement l’interdiction de se couvrir le visage (en particulier avec un niqab, qui couvre tout le visage à l’exception des yeux) au moment de prêter serment de citoyenneté. La procureur générale et ministre de la Justice canadienne, Jody Wilson-Raybould, a officiellement rejeté la demande d’appel de l’ancien gouvernement conservateur auprès de la Cour suprême du Canada dans l’affaire ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Zunera Ishaq, mettant ainsi fin à une affaire politique non tranchée en 4 ans (2011-2015).

L’affaire avait commencé le 12 décembre 2011 après l’annonce par le ministre canadien de l’Immigration, de la Citoyenneté et du Multiculturalisme, Jason Kenney, de l’interdiction par le gouvernement conservateur de tout couvre-chef durant la cérémonie de prestation de serment de citoyenneté canadienne (voir CBC). Le gouvernement s’était justifié en arguant que le serment de citoyenneté est un acte public de dévotion et de loyauté envers le Canada devant ses concitoyens et qu’à ce titre, il ne peut être prononcé en se cachant le visage. L’interdiction avait été appliquée sous forme de directive à effet immédiat en vertu du bulletin opérationnel 359 (Citoyenneté et Immigration Canada [« CIC »], bulletin opérationnel 359 ; manuel de politique CIC CP 15 : guide des cérémonies de citoyenneté [le « Manuel »]), qui a accéléré l’interdiction et l’a soustraite au processus législatif et aux débats des représentants politiques.

Le 30 décembre 2013, un juge de la citoyenneté a approuvé la demande de la future citoyenne canadienne Zunera Ishaq. Le 14 janvier 2014, celle-ci devait donc prêter serment de citoyenneté ; or, selon les directives du Manuel et de son article 6.5, « les candidats portant un couvre-chef sont tenus d’enlever celui-ci pour la partie de la cérémonie où ils prêtent serment ». Madame Ishaq s’était opposée à cette exigence, prétextant que ses croyances religieuses l’obligeaient à porter le niqab en public. Elle a fait valoir que la politique du gouvernement portait atteinte au paragraphe 2 (a), de la Charte canadienne des droits et libertés, qui garantit la liberté fondamentale de conscience et de religion. Madame Ishaq a alors déposé une demande d’examen judiciaire.

Le 6 février 2015, le juge de la Cour fédérale Keith Boswell a statué en faveur de Madame Ishaq et a jugé que l’interdiction par le gouvernement de porter le niqab pendant le serment de citoyenneté canadienne était illégale. Le juge Boswell a déclaré que la directive de 2011 du gouvernement était en contradiction avec le règlement actuel sur la citoyenneté, selon lequel les juges de la citoyenneté doivent faire prêter serment dignement et solennellement en garantissant la plus grande liberté de religion possible au moment de l’engagement solennel. De plus, le juge Boswell a posé la question suivante : comment un juge de la citoyenneté peut-il prétendre garantir le plus grand respect de la religion au moment de l’engagement solennel et de la prestation de serment si la sphère politique exige que le candidat viole ou renonce à un principe fondamental de sa religion ? Le 9 mars 2015, les avocats du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ont introduit une demande d’appel de cette décision auprès de la Cour d’appel (voir National Post), affirmant que le juge fédéral avait commis plusieurs erreurs de fait et de droit. Le 15 septembre 2015, dans le jugement en appel entre le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et Zunera Ishaq, le procureur général de l’État d’Ontario s’était rangé du côté de la décision de la Cour fédérale canadienne, qui avait annulé l’interdiction du gouvernement conservateur de porter un couvre-chef pendant le serment de citoyenneté canadienne (Canada [Citoyenneté et Immigration] c. Ishaq, 2015 FCA 194). L’ancien Premier ministre, Stephen Harper, avait défendu l’appel de son gouvernement par rapport à « l’interdiction du niqab » en dépeignant un idéal exclusif du Canadien aux « bonnes » valeurs. Nombre de ses concitoyens avaient écouté, non sans malaise, leur Premier ministre qualifier d’« offensants » les Canadiens portant le niqab, dont les valeurs (pourtant garanties par le paragraphe 2 (a), de la Charte canadienne des droits et libertés) entraient en contradiction avec les valeurs canadiennes.

Le 19 octobre 2015, lors de la 42e élection générale du Canada, les Canadiens ont élu un nouveau gouvernement libéral. La première décision de Jody Wilson-Raybould, en tant que nouvelle procureur générale et ministre de la Justice du Canada, fut d’annuler l’« interdiction du niqab » (qui durait depuis 2011), en déclarant que cette annulation était un « symbole des valeurs qui font de nous des Canadiens, à savoir la diversité, l’inclusion et le respect de ces valeurs fondamentales ».

D 15 février 2018    AZaheeda Alibhai

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