eurel     Données sociologiques et juridiques sur la religion en Europe et au-delà

2014

  • La CEDH et l’activisme judiciaire de Église chrétienne mennonite hongroise

Vers un affaiblissement du système européen des droits de l’homme ou une victoire de la liberté religieuse ? Observations sur l’affaire Magyar Keresztény Mennonita Egyház et autres c. Hongrie

Dans cette affaire, la majorité est arrivée à la conclusion que la Hongrie a violé l’article 11 de la Convention lu à la lumière de l’article 9. D’autres questions, comme la discrimination entre différentes communautés religieuses, n’ont pas été examinées dans cette procédure. La Cour a laissé six mois au gouvernement et aux requérants pour trouver un accord sur une satisfaction équitable. Cependant, Robert Spagno (juge de la Cour européenne des droits de l’homme) a conclu son opinion dissidente par un avertissement : il a souligné le fait que l’expansion sans retenue de la portée substantielle de la Convention risque de saper le système de supervision européenne des droits de l’homme.

1. Le sujet de l’affaire
La nouvelle réglementation hongroise du statut des communautés religieuses (voir Droit et religion > Cadre juridique > La loi fondamentale du 1er janvier 2012) a apporté une série de changements au cours des dernières années. La première nouvelle loi (loi C/2011) a été abolie par la Cour constitutionnelle pour des raisons formelles (décision 164/2011 (XII. 20) AB), alors que la deuxième nouvelle loi (loi CCVI/2011) est entrée en vigueur le 1er janvier 2012. La Cour constitutionnelle a toutefois aboli plusieurs dispositions de cette loi quelques mois plus tard (décision 6/2013 (III. 1.) AB). Le Parlement a entrepris une série d’amendements visant à corriger les défaillances de la loi (loi CXXXIII/2013), et a même modifié la Constitution elle-même pour empêcher de nouvelles discussions sur les éléments fondamentaux de la nouvelle loi sur la religion (quatrième amendement le 25 mars 2013, cinquième amendement le 26 septembre 2013). Les requérants se sont plaints de la perte de leur statut d’Églises enregistrées depuis le 1er janvier 2012. Depuis cette date, ils sont simplement considérés comme des associations religieuses et n’ont droit à aucune subvention budgétaire (§ 22 de la décision). Ils ont défendu le fait que le statut d’Église était le seul adapté aux besoins particuliers des communautés religieuses. Ils ont également déclaré que les nouvelles exigences de la procédure de reconnaissance n’étaient ni objectives ni raisonnables, et que la compétence du Parlement a transformé la procédure de reconnaissance en une procédure politique. Ils affirment que l’État a ainsi perdu sa neutralité et son impartialité dans les questions de reconnaissance. L’évolution rapide de la loi hongroise avait causé des difficultés à la Cour. Un certain nombre de droits importants sont maintenant ouverts à toutes les communautés religieuses, mais la Cour les considère toujours comme des droits réservés aux églises reconnues. Par exemple, il s’agit des droits d’entretenir des cimetières, de produire des imprimés religieux, de recevoir des dons ou même des subventions budgétaires (§ 25). Ces droits appartiennent à une longue liste de droits ouverts à toutes les communautés au sein du nouveau système à deux niveaux. Alors que le libre exercice de la religion et l’autonomie sont garantis à tous, certains droits sont encore réservés aux églises reconnues. L’un d’entre eux est le droit de dispenser une éducation religieuse dans les écoles publiques (pratiquement seules les deux ou trois plus grandes confessions ont une possibilité réaliste d’utiliser ce droit). Autre différence notable : les contribuables peuvent affecter 1 % de leur impôt sur le revenu à une église de leur choix, alors que les associations religieuses sont exclues de cette possibilité. En outre, les activités de service public (de gestion des écoles ou des institutions sociales) des églises reconnues bénéficient d’un financement public égal à celui des institutions gérées par l’État, tandis que les autres prestataires de services ne reçoivent qu’un financement partiel et doivent conclure un régime contractuel avec le gouvernement pour recevoir des fonds supplémentaires.

2. Motivation
La Cour a considéré la radiation du registre (requalification) des requérants comme une atteinte à leurs droits consacrés par les articles 9 et 11 (§ 83). La mesure a sans aucun doute été prescrite par la loi et la Cour a également admis que la raison de la mesure était de protéger l’ordre public, et surtout d’éliminer les entités qui prétendent être de nature religieuse mais en fait abusent du système pour bénéficier d’avantages financiers (86). En vertu de la loi de 1990, 406 « Églises » ont été enregistrées et l’État n’a pas été en mesure de filtrer les « églises d’affaires » qui n’ont été créées que pour obtenir des fonds mais n’ont pas effectué de véritables activités religieuses. Le différend portait sur la question de savoir si les mesures introduites étaient proportionnées (nécessaires dans une société démocratique). La Cour a considéré que le cas de l’Église de Scientologie de Moscou c. Russie était pertinent dans le cas donné (§ 44), considérant qu’en Hongrie, les communautés précédemment enregistrées n’étaient ni interdites ni privées de personnalité juridique, mais que leur statut était requalifié. Suite à cette requalification, les requérants ont perdu certains privilèges (§ 55). Plus encore, au-delà des avantages financiers, les distinctions dans le statut juridique peuvent conduire à des préjugés sociaux (§ 92). Le principe de neutralité et d’impartialité doit être observé dans les questions religieuses. La conclusion de la Cour est la suivante : « La Cour conclut qu’en supprimant complètement le statut d’église des requérants plutôt qu’en appliquant des mesures moins strictes, en établissant une procédure de réinscription politiquement entachée, dont la justification est sujette au doute en tant que telle, et enfin, en traitant les requérants différemment des églises incorporées non seulement dans les possibilités de réinscription mais aussi dans l’obtention d’avantages aux fins des activités liées à la foi, les autorités ont négligé leur devoir de neutralité vis-à-vis des communautés requérantes. Ces éléments, solidairement, permettent à la Cour de constater que la mesure contestée ne peut être qualifiée de « besoin social impérieux » (§ 115).

3. Malentendus et possibilités
La formulation du jugement reflète un malentendu dans l’évaluation de la Cour. La Cour se réfère à juste titre aux églises précédemment enregistrées (§§ 6, 17, 22, 62, 69, 81) qui ont obtenu un statut en vertu de la loi de 1990. La loi de 2011 a introduit un système à deux niveaux qui différencie les églises reconnues des associations religieuses. La reconnaissance est faite par le Parlement. 31 communautés ont été reconnues à ce jour. L’enregistrement en vertu de la loi de 1990 et la reconnaissance en vertu de la loi de 2011 peuvent sembler similaires mais sont de nature complètement différente. Contrairement à l’appréciation de la Cour, les « églises précédemment reconnues » (§ 96) n’ont pas été radiées, aucune communauté religieuse n’ayant été reconnue antérieurement. En fait, toutes les communautés religieuses précédemment enregistrées ont perdu leur statut. Certaines d’entre elles ont été reconnues dans le nouveau système tandis que d’autres ont été requalifiées en tant associations religieuses. Dans un paragraphe remarquable, la Cour suggère que les systèmes à deux niveaux et les systèmes État-Église ne sont compatibles avec la Convention que s’ils existaient avant la ratification de la Convention (§ 100). En fait, la Convention prévoit la liberté religieuse, mais pas une forme spécifique de relations État-Église. Étrangement, la Cour n’a ni pointé une mesure spécifique ayant conduit à la violation, ni jugé le système adopté par la Hongrie comme inacceptable. La Cour a estimé que les mesures prises par l’État « de façon conjointe et solidaire » suffisaient à juger que les mesures contestées ne correspondent pas à un besoin social urgent (§ 115). Par conséquent, il est difficile de déterminer quels types de changements législatifs sont nécessaires, au-delà d’un règlement financier avec les requérants. Étant donné que les droits relatifs au libre exercice de la religion sont également garantis aux églises et associations religieuses reconnues, les différences qui persistent doivent être réévaluées. L’une d’entre elles pourrait être d’étendre le système d’affectation fiscale aux associations religieuses.

Balázs Schanda
  • Le passage des établissements scolaires sous l’autorité administrative des Églises

Les observateurs attentifs à l’investissement des Églises de Hongrie dans le domaine de l’éducation ou de l’action sociale ont pu constater, récemment, un changement radical dans les statistiques. En effet, les trois dernières années ont permis de constater une croissance encore jamais observée du nombre d’établissements scolaires passés sous la tutelle des Églises.

Pendant l’année académique 2009/2010, qui a précédé le retour de l’alliance démocrate (Fidesz et chrétiens démocrates) au pouvoir, l’État a administré directement ou indirectement 2133 écoles maternelles, 2019 écoles primaires, 442 écoles professionnelles, 467 écoles secondaires professionnelles et 407 lycées. Pendant ce temps, les différentes Églises administraient 139 écoles maternelles, 194 écoles primaires, 33 écoles professionnelles, 31 écoles professionnelles et 104 lycées. En comparaison, pendant l’année scolaire 2002/2003, il y avait alors 3421 écoles primaires publiques et 150 écoles confessionnelles. Avant les élections du printemps 2014 qui ont reconduit le gouvernement de droite, le nombre d’établissements scolaires dépendant des Églises a augmenté de plus de 50 %. Durant quelques années après le changement de régime, les Églises n’ont assuré l’éducation que de quelques milliers d’élèves ; ce nombre atteint aujourd’hui les 250 000 (sur une population de 10 millions d’habitants).
Si certains considèrent que les Églises en Hongrie font simplement « main basse sur les écoles publiques », la situation est bien plus complexe. Le principal moteur de ce changement dans la délégation de service dans le domaine éducatif est une volonté de centralisation de toutes les écoles relevant des autorités municipales/territoriales. Conformément aux règlements entrés en vigueur le 1er janvier 2013, du point de vue de la direction professionnelle, toutes les écoles administrées par des instances territoriales passent sous le contrôle du Centre de gérance de l’Institut Klebelsberg (KLIK). Si pour le fonctionnement quotidien, cela n’apporte, en principe, pas de modification fondamentale, un des pouvoirs majeurs des directeurs d’établissement, à savoir la nomination et le licenciement des enseignants, est transféré aux compétences du KLIK, tandis que la nomination des directeurs relève du ministre de l’Éducation nationale. Le personnel enseignant, les parents et les communautés d’élèves, ainsi que le conseil municipal du lieu, donnent leur avis quant aux candidats aux postes, mais celui-ci n’est que consultatif. Dès 2013, le droit à l’autogestion des écoles a également été aboli. Cependant, la passation sous la tutelle de l’État n’a déchargé la municipalité que de la salarisation du personnel. L’entretien des bâtiments et les coûts opérationnels sont restés à leur charge.
Le passage des établissements scolaires sous la tutelle de l’État, d’après nombre de directeurs d’établissement - qui rejoignent ainsi Zoltan Pokorni, président de la Commission de l’éducation à l’Assemblée nationale et ancien ministre de l’Éducation - présente l’inconvénient d’alourdir les procédures. En effet, chaque décision doit désormais être approuvée par la direction centrale, processus long au vu des obstacles hiérarchiques. La moindre dépense est soumise à une autorisation nécessitant une longue démarche, puisque chaque école est désormais gérée par deux entités distinctes. Le KLIK (créé pour prendre en charge plus de 7 000 écoles générales, lycées, lycées professionnels et écoles de formation professionnelle de Hongrie) a la responsabilité de tout ce qui est du domaine professionnel, tandis que les administrations locales ou territoriales s’occupent du fonctionnement. Des désaccords naissent quant aux dépenses, alors que les fonds reçus pour le fonctionnement restent très faibles. La perte d’autonomie des établissements est perçue négativement. Considérant que désormais leur rôle s’est réduit à assurer le budget d’entretien des bâtiments, sans possibilité réelle d’intervenir dans les affaires de l’école, plusieurs administrations locales ont décidé de faire passer les établissements scolaires sous l’administration des Églises. Les autorités locales sont ainsi totalement libérées des dépenses liées au fonctionnement des écoles. La motivation des autorités pour « fuir » la centralisation était si forte que, lorsque les Églises « historiques » n’ont pas accepté ce rôle d’administrateur avec les coûts y afférant, les autorités locales se sont tournées vers d’autres groupes religieux. Toutefois, d’après les représentants des Églises principales, les différentes confessions ont été obligées de refuser un grand nombre des établissements proposés. Les critères d’acceptation de ces établissements varient selon les différentes Églises. L’Église catholique a accepté des offres sur tout le territoire de la Hongrie, en sauvant dans certains cas des établissements menacés de fermeture (par ex. une école élémentaire accueillant plus de 100 enfants roms à Pécs). Pour l’Église luthérienne, le critère principal est d’avoir déjà sur place des communautés luthériennes, qui soutiennent l’initiative du transfert et le projet existant. Quant à l’Église réformée, elle a accepté des écoles là où elle a déjà prévu d’assumer une mission éducative dans le cadre d’un établissement public.
Le passage de ce grand nombre d’écoles sous l’administration des Églises s’explique aussi bien par des raisons rationnelles que par des préjugés contre l’administration centrale. Par le biais des relations locales, les élus locaux et les municipalités espèrent qu’en transférant les établissements à telle ou telle confession, ils auront, au moins indirectement, un droit de regard. En raison de la législation sur les Églises et leur financement, la perspective de la confessionnalisation des écoles offre une certaine stabilité. Depuis l’Accord du Vatican (1997), malgré des désaccords entre les gouvernements et les cultes dans le domaine de l’éducation, on constate que les écoles confessionnelles offrent un enseignement de meilleure qualité avec des finances plus équilibrées. L’Église, en tant qu’administrateur, a droit à des subventions complémentaires prévues par la loi (en 2013, 7 milliards de Forint). Par ailleurs, beaucoup de réductions et d’exonérations fiscales améliorent la stabilité et la liberté des établissements. Dans de nombreux cas, les écoles religieuses sont dispensées de certaines exigences réglementaires (nomination de la direction, programme scolaire, sélection des manuels, etc.) et il y a moins de risques de réorganisation ou de fermeture. Le financement important est accompagné d’une grande liberté. En comparaison, la liberté des grandes institutions éducatives privées est synonyme de mauvaise condition financière. Pour ce qui est des écoles publiques, la récente centralisation fait que tant leur financement que leur liberté sont limités. D’après le journaliste hongrois Levente Teleki, la différence entre les établissements publics et confessionnaux ne s’explique pas par l’amélioration des conditions de ces derniers, mais par le fait que sans que leurs conditions ne changent, la situation des écoles relevant des administrations locales s’est détériorée (par ex. stagnation ou diminution des salaires des enseignants depuis la centralisation).
Le transfert de tutelle des établissements éducatifs (ou sociaux) soulève également des problèmes autres que financiers. Lors de la conférence de presse du 4 décembre 2014, le président de la Conférence épiscopale de Hongrie a souligné qu’il considère comme contraire à la neutralité religieuse de l’État que le gouvernement ou des administrations locales offrent des établissements librement à une Église de leur choix. Dans ce cas, en effet, leur décision va déterminer de quel environnement religieux peuvent ou doivent bénéficier les personnes ou les services sociaux ou éducatifs.

Voir l’article hongrois "Egyházi iskolák : menekülés az állam elől".

Rozalia Horvath

D 10 décembre 2014    ABalázs Schanda ARozalia Horvath

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