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2014

  • Le statut de la propriété des ordres religieux en Bulgarie

Le 16 juillet 2013, un groupe de députés de la 42e Assemblée nationale bulgare nouvellement élue a proposé divers amendements légaux concernant la restitution des propriétés des ordres religieux de Bulgarie, l’exemption d’impôts à l’égard de ces biens, ainsi que les conditions de travail des ecclésiastiques et ministres du Culte, y compris leur retraite et assurance santé.

Le 7 novembre 2013, l’Assemblée nationale bulgare a adopté par vote l’un de ces amendements. Ce dernier a plus précisément modifié le texte de l’Article 24, § 9, de la Loi sur les impôts et charges locaux. L’ancienne version de cette réglementation prévoyait une exonération d’impôt pour « les lieux de culte appartenant aux ordres religieux légalement enregistrés dans leur pays ». Le nouveau texte fait état d’une exemption non seulement à l’égard de ces bâtiments, mais aussi pour « la propriété foncière [pozemleni imoti en bulgare] où ils ont été bâti », c.-à.-d. également les propriétés qui appartiennent aux ordres légalement enregistrés.

Parallèlement, les amendements qui concernent les conditions de travail, la retraite et l’assurance santé du clergé n’ont suscité aucun débat public. Considérant que les hiérarques du diocèse orthodoxes avaient pour habitude de rémunérer leurs prêtres avec des bougies, il paraît étrange que ces derniers gardent le silence sur ce point. Qui plus est, en 2010, le Podrepa Trade Union a annoncé que le Saint Synode de l’Église Orthodoxe Bulgare devait environ 1,75 million € à la Caisse Nationale de Retraite et à la Caisse d’Assurance Maladie. Depuis, le problème a disparu de la scène publique et, à l’heure actuelle, la société ignore qui finance les assurances santé et la retraite de ce groupe professionnel. On ignore également si ce problème est spécifique à l’Église orthodoxe bulgare, qui représente la majorité religieuse du pays, ou si d’autres ordres religieux nationaux sont concernés.

L’amendement qui a suscité les débats les plus houleux au sein de la société bulgare concerne cependant les revendications en matière de propriété des ordres religieux sur certains bâtiments urbains (principalement pour les musulmans) et les fouilles archéologiques (surtout pour l’Église orthodoxe bulgare). Le projet de loi du 16 juillet 2013 initie une seconde vague de restitution de ces biens en Bulgarie. La première vague, entamée avec les lois de restitution de 1991 et 1992 et qui s’est achevée en 2012, visait au retour des terres arables, des forêts, des industries, des propriétés urbaines et des autres biens confisqués par le régime communiste. De ce fait, l’Église orthodoxe a reçu 120 000 hectares de terres arables et de forêts, et les musulmans 80 000 hectares (voir l’article de S. Stoykov, en langue bulgare). De plus, ces deux ordres religieux ont restauré leurs droits de propriété sur de nombreux immeubles de bureaux et d’habitation (à l’exclusion des temples). À l’heure actuelle, il n’existe aucun registre des biens tangibles et intangibles remis. À cet égard, il est important de remarquer qu’aucune information publique n’a été donnée concernant le versement d’impôts sur les propriétés et revenus par les deux principaux ordres religieux, l’Église orthodoxe bulgare et l’administration musulmane. Cette première vague de restitution n’a pourtant soulevé aucun débat dans la société. À l’époque, l’utilisation abusive de ces biens révélée par les médias était au centre des principales préoccupations. Les gens étaient particulièrement agacés par le goût du luxe qu’affichaient certains métropolitains. Par conséquent, ils sont très critiques à l’égard du manque de transparence en matière de gestion des biens de l’église, ainsi qu’en ce qui concerne les dépenses des revenus résultant de ces biens.

La situation a changé après l’annonce du projet de loi de juillet 2013. Celui-ci proposait d’ajouter un nouveau paragraphe (§ 3) à l’Article 21 de la Loi sur les ordres religieux de 2002, qui précise : « les monastères, temples et lieux de prière qui existaient au moment de l’application de la présente loi, et qui ont été désignés comme étant des lieux de culte, ainsi que les propriétés foncières où ils sont construits, sont la propriété respective de l’Église Orthodoxe Bulgare - du Patriarcat bulgare, ou des autres ordres religieux enregistrés et de leurs branches locales ». Les auteurs revendiquent cet amendement comme une garantie de la liberté de religion, conforme à la Charte européenne des droits fondamentaux (article 10), la Constitution bulgare (Articles 13.1 et 37.1) et la Loi sur les ordres religieux de 2002 (Article 4.2). D’après eux, la séparation des institutions religieuses de l’État demande un traitement spécial des droits de propriété sur les lieux de culte. Dans leurs motivations, les auteurs du projet de loi évoquent le fait que les églises, les monastères et les lieux de prière constituent des res sacrae, et que cette catégorie spéciale de biens immobiliers doit être exclue du domaine civil. Cela signifie que les lieux de culte, ainsi que les diverses propriétés des ordres religieux, doivent être exemptés des impôts nationaux et municipaux.

Cette proposition spécifique a toutefois suscité des débats houleux dans la société, et a même provoqué des conflits ouverts qui ont menacé la paix religieuse et ethnique en Bulgarie. Les critiques principales concernaient la restitution des propriétés religieuses. Elles se fondaient sur la force rétroactive et sans restriction des amendements. Selon les motifs du projet de loi, la restitution produit ses effets pour une période commençant au Baptême des Bulgares (864) jusqu’à aujourd’hui. D’une part, cette approche permet aux administrations des ordres religieux, dont l’Église orthodoxe bulgare, de revendiquer des droits de propriété concernant également les fouilles archéologiques. D’autre part, de nombreux temples ont vu leur objet modifié à plusieurs reprises au cours de la période concernée (les églises orthodoxes ont été converties en mosquées sous la domination ottomane ; les mosquées ont été converties en églises après la libération de la Bulgarie en 1878, puis les bâtiments religieux ont été transformés en lieux publics sous l’ère communiste). De ce fait, plusieurs communautés religieuses peuvent revendiquer des droits de propriété sur un même bâtiment. De plus, une telle situation implique les intérêts de groupes non religieux, notamment les archéologues qui s’opposent aux revendications de l’Église orthodoxe bulgare sur certains sites de fouilles. Enfin, les tensions au sein de la société sont aggravées par les poursuites judiciaires entamées par le Bureau du Grand Mufti qui prétend à la propriété de bâtiments urbains. Les cas les plus problématiques concernent les villes où la population musulmane est presque inexistante, dont les bâtiments n’ont jamais été des mosquées ou qui ont cessé d’avoir cette fonction avant d’être saisis par les communistes.

Afin d’adoucir les tensions relatives à la restitution des biens religieux, un groupe de députés de la 42e Assemblée nationale a proposé un nouveau projet de loi, déposé le 9 décembre 2013. Ce projet excluait les bâtiments servant actuellement de musée, galerie ou aux expositions archéologiques, et qui ont le statut de propriété publique ou municipale. Le Saint Synode de l’Église orthodoxe bulgare a toutefois protesté contre cette proposition qui allait à l’encontre des accords de propriété lui profitant sur certaines constructions. Parallèlement, les protestations contre les poursuites entamées par le Bureau du Grand Mufti continuent. Le 14 février 2014, des manifestations ont eu lieu devant le tribunal régional de Plovdiv, donnant lieu à des blessés et des arrestations. Le parti nationaliste Ataka a utilisé cet événement à son avantage et, le 19 février 2014, a déposé son propre projet de loi visant à empêcher les restitutions supplémentaires de biens religieux par voie judiciaire.

Sources :
Projet de loi 354-01-40/16 juillet 2013 (en bulgare), Projet de loi 354-01-91/9 décembre 2013 (en bulgare), Projet de loi N° 454-01-22 /19 février 2014 (en bulgare).

Stefan Stoykov, avocat, ‘If the New Law on religions enters in force : The Mufitiate and the Synod take back 1,000,000 hectares’, Pressa Daily, 18 septembre 2013.

Daniela Kalkandjieva, "The Bulgarian Draft Law on Religious Properties", voir Orthopuzzle.

D 7 août 2013    ADaniela Kalkandjieva

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