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L’éducation religieuse dans l’enseignement public en Roumanie : parcours historique

Jusqu’en 1864, lorsque fut promulguée la première loi roumaine sur l’enseignement moderne, la religion à l’école était enseignée uniquement par l’Église, par les prêtres ou les chantres. La loi sur l’instruction publique de 1864 a marqué la perte du monopole traditionnel de l’Église sur l’enseignement, celui-ci passant sous l’égide de l’État. Mais ce moment historique n’a pas signifié la perte de l’influence de l’institution ecclésiastique sur l’enseignement et sur la société en général. Cette loi, qui était une des plus progressistes de l’époque, prévoyait l’enseignement gratuit et obligatoire pour tous les enfants de huit à douze ans, et la religion y était présente comme discipline d’étude depuis l’école primaire jusqu’au collège.
La situation resta en grande partie inchangé jusqu’en 1948 quand le décret no. 175/1948, promulgué dès l’instauration de l’État communiste, élimina la religion du programme scolaire et suspendit les écoles confessionnelles.
Ce n’est qu’après 1989 que la religion fut réintroduite dans l’enseignement publique roumain, avec un statut optionnel selon la confession et facultatif selon les options des parents d’élèves.

La religion à l’école avant 1864

L’enseignement de la religion dans les écoles publiques roumaines a une longue tradition qui remonte bien avant 1864. Au sujet de la présence de la religion à l’école, l’un des prêtres et théologiens roumains contemporains les plus appréciés a écrit : "L’enseignement de la religion ne fut jamais absent de la vie du peuple roumain. Même lorsque le culte était célébré dans une langue étrangère, l’homélie et la confession se faisaient dans la langue du peuple." (Constantin Galeriu, "Ora de religie în trecut si astazi", in Altarul Banatului, no. 4-6, 1995, p. 162). La religion était enseignée dans "l’exonarthex de l’église", par le prêtre ou le chantre, en employant des livres de culte, surtout à partir du XV–XVIe siècles, lorsque ceux-ci commencent à être traduits en roumain : Le Recueil d’homélies du métropolite Varlaam, Les Vies des Saints, traduites par le métropolite Dosoftei, les traductions du diacre Coresi, L’Octoèque d’Antim Ivireanu. D’ailleurs, la profession même d’instituteur est d’origine ecclésiastique, tel que l’atteste le mot dascal, qui signifie en roumain chantre (degré du clergé inférieur) et enseignant.

La religion et l’école entre 1864–1948

La réalisation de l’Union des principautés roumaines au temps d’Alexandru Ioan Cuza a marqué le début d’une époque de profondes transformations dans la vie politique, économique et culturelle, conduisant à la création de l’État roumain moderne. La réforme de l’enseignement a été réalisée par la loi no. 1150/1864 concernant l’instruction dans les principautés roumaines unies, publiée dans le Monitorul Oficial du 25 novembre 1864. Cette loi, qui constitua pendant plus de trois décennies le fondement de l’enseignement roumain, était l’une des plus modernes et progressistes de l’époque. Six ans avant la Grande-Bretagne (1870), dix ans avant la Suisse (1874), quinze ans avant la Bulgarie (1879), dix-huit ans avant la Serbie (1882) et avant la France (1882), cette loi, par les dispositions de son article 31, instituait l’obligation et la gratuité de l’enseignement : "l’instruction élémentaire est obligatoire et gratuite pour tous les enfants des deux sexes, de huit à douze ans"
Selon cette loi, les enfants, accompagnés par leur instituteur, devaient participer à l’office divin lors des dimanches et des fêtes, (art. 73) ; à l’école primaire on enseignait le catéchisme (art. 32) ; au gymnase et au lycée on enseignait la religion (art. 116). Le curé était responsable de l’éducation religieuse des enfants de sa paroisse (art. 74) et au début de chaque année il devait présenter à l’instituteur la liste des enfants de huit ans (art. 40) (cf. Legi ale învatamântului din România,1864-1978, Institutul de Stiinte ale Educatiei, Bucuresti, 1991, t. 1, p. 27-72). La structure de l’année scolaire était influencée par le calendrier chrétien orthodoxe. Il n’y avait pas classe les dimanches et fêtes ; deux vacances scolaires étaient fixées pendant la période des deux grandes fêtes chrétiennes : Pâques et Noël. Les professeurs de religion avaient suivi les cours des institutions d’enseignement théologique supérieur ou des séminaires théologiques et étaient, pour la plupart, des prêtres.
L’éducation religieuse des enfants d’une confession autre qu’orthodoxe se réalisait d’abord exclusivement au sein de la famille ; puis, conformément à la loi pour l’enseignement primaire public du 26 juillet 1924, cette éducation se faisait à l’école, selon un programme spécial, par le personnel du culte concerné, sans rémunération et avec l’accord du ministère (art. 61).
La loi sur l’enseignement privé de 1925 réglementait les conditions dans lesquelles pouvait se réaliser l’éducation des enfants appartenant à la religion juive et musulmane : uniquement dans des écoles appartenant à ces religions ("asiles religieux"), par des professeurs désignés par ces cultes et avec l’accord préalable du ministère des Cultes et de l’Instruction publique (art. 75). La langue roumaine devait être employée au moins une heure par jour (art. 78), et la fréquentation de ces institutions était interdite aux enfants appartenant aux autres cultes (art. 80). En 1939 sera promulguée la loi pour l’organisation de l’enseignement primaire et normal qui interdisait aux professeurs toute manifestation contre la religion, la patrie et la nation (art. 187, al. 1).

L’école et la religion entre 1948-1989

Cette longue tradition d’une présence constante de la religion comme discipline obligatoire dans l’enseignement roumain fut brutalement et douloureusement interrompue par le régime communiste instauré en 1948, qui souhaitait soumettre et assujettir l’Eglise au système politique et la chasser hors de la sphère de la vie publique. Par le décret no. 175 du 3 août, l’enseignement public était "placé sur des fondements démocratiques, populaires, réalistes et scientifiques" (art. 1) et laïcisé.
Les écoles confessionnelles étaient supprimées (art. 35) et la religion éliminée des disciplines enseignées. On prévoyait également que "les membres du corps enseignant des écoles confessionnelles et privées passées à l’État seront intégrés dans l’enseignement d’État" (art. 36), et "ceux qui, par n’importe quels moyens, empêcheraient ou essayeraient d’empêcher la mise en oeuvre de l’article 35 de la présente loi seront punis de 5-10 années de travaux forcés et de la confiscation de toute leur fortune" (art. 37).
Les propriétés ecclésiastiques étaient nationalisées et attentivement surveillées (décret pour les cultes du 4 août 1948). Une directive du ministère de l’Enseignement public de la même année décrétait l’obligation d’enlever les icônes de l’enceinte des écoles et de les profaner.
De plus, selon les normes de la propagande athée, toute mention de la religion parmi les autres disciplines d’étude était strictement interdite et punie par la loi. Les bibliothèques et les librairies furent épurées des livres indésirables, toutes les écoles étrangères, y compris les écoles confessionnelles, furent fermées. La loi sur l’enseignement dans la République socialiste de Roumanie du 13 mai 1968 prévoyait que "l’enseignement a pour but (....) la formation des conceptions matérialistes dialectiques sur la nature et la société" (art. 1) et son article 3 que "l’enseignement dans la République socialiste de Roumanie est enseignement d’Etat. L’école est séparée de l’Eglise. Les confessions et les organisations religieuses peuvent organiser et entretenir des écoles spéciales pour la formation du personnel du culte".

Après décembre 1989

Suite aux changements politiques, économiques et culturels majeurs qu’implique la transition vers un régime démocratique, la réintroduction de la religion dans l’enseignement public, mais avec de nouveaux paramètres tels que l’exige le nouveau contexte interne et international, est devenue une nécessité évidente.
La Constitution de la Roumanie reconnaît et garantit à tout citoyen "sans distinction de race, de nationalité, d’origine ethnique, de langue, de religion, de sexe" (art. 4, al. 2), la liberté de conscience (art. 29, al. 2), "la liberté de la pensée et des opinions, ainsi que la liberté des croyances religieuses" (art. 29, al. 1). Une autre disposition vise par ailleurs le droit des parents ou des tuteurs dûment institués "d’assurer, selon leurs propres convictions, l’éducation des enfants mineurs dont ils ont la charge" (art. 29, al. 6).
Un autre article affirme que "l’Etat assure la liberté de l’enseignement religieux selon les nécessités de chaque culte. Dans les écoles d’Etat, l’enseignement religieux est organisé et garanti par la loi" (art. 32, al. 7).
Dès 1990, la religion fut introduite à raison d’une heure toutes les deux semaines comme objet d’étude optionnel et facultatif dans l’enseignement primaire et secondaire (arrêté du ministère de l’Enseignement et de la Science no. 15052/1990). L’année suivante, le ministère de l’Enseignement et de la Science décidait que la religion serait enseignée une heure par semaine (arrêté no. 9176/01.02.1991). Depuis 1993, cette discipline n’est plus nommée "éducation religieuse", mais "religion" (arrêté no. 10306/17.08.1993). En 1991, les unités d’enseignement théologique ont été par ailleurs réintégrées dans le système d’enseignement public
En 1995, de nouvelles dispositions étaient prises quant au statut de l’enseignement de la religion à l’école : la classe de religion était obligatoire dans l’enseignement primaire, optionnelle au gymnase, facultative dans les lycées et écoles professionnelles (loi sur l’enseignement no. 84). Afin d’éviter certaines ambiguïtés créées par ces dispositions, et à la demande de l’Église orthodoxe roumaine, on modifia en 1999 la réglementation de l’enseignement de la religion dans l’enseignement public. Elle devient une discipline scolaire, une partie du tronc commun, dans les programmes d’enseignement primaire, secondaire et professionnel ; l’élève a le droit de chosir, avec l’accord du parent ou du tuteur, de suivre ou non le cours de religion à l’école, conformément à sa propre confession (loi sur l’enseignement no. 84/1995 modifiée).
Pendant l’année scolaire 2003-2004, 10.514 professeurs de religion ont été employés dans l’enseignement public roumain, dont 2.987 titulaires et 7.527 suppléants. Parmi ceux-ci, 2.670 ont obtenu leur confirmation dans l’enseignement, 783 le degré didactique II, et 165 le degré didactique I (Secrétariat d’Etat pour les cultes, Direction Enseignement et assistance sociale).

La loi no. 489/2006 concernant la liberté religieuse et le régime général des cultes reprend, développe et précise les conditions de l’organisation de l’enseignement de la religion à l’école. Elle formalise l’accès de tous les cultes reconnus à l’organisation d’un enseignement de religion à l’école publique. Elle consacre le principe de la double dépendance, vis-à-vis aussi bien du ministère de l’Éducation que du culte qu’ils "représentent", pour les personnels enseignant la discipline "religion" : les professeurs sont nommés avec l’accord du culte concerné, qui peut retirer cet agrément en cas d’infractions graves à l’enseignement ou à la doctrine morale du culte ; sans l’accord du culte, ils ne peuvent plus enseigner la religion à l’école publique (art. 32).
Les cultes reconnus peuvent organiser un enseignement théologique (non limité à la formation des ministres du culte) de niveau universitaire ou pré-universitaire dans le cadre de l’enseignement public : ils fixent les programmes d’enseignement (qui doivent être également approuvés par le ministère de l’Éducation ou, selon le cas, par les sénats universitaires) et l’accord des cultes est nécessaire pour l’accréditation du personnel enseignant (art. 33-35).
La loi de 2006 crée, pour la première fois, un cadre légal pour l’organisation d’un enseignement confessionnel privé à tous les niveaux, permettant également le financement public de ces institutions d’éducation confessionnelle (art. 38) et établit le droit des cultes d’organiser cet enseignement confessionnel dans le respect de leurs statuts et canons.
Ce dernier principe sera inscrit de la manière plus précise dans la nouvelle loi sur l’Education nationale (no 1 du 5 janvier 2011, art. 3 s) qui étend le principe de la neutralité de l’État à toutes les religions et croyances dans le cadre de l’espace scolaire.

Pour en savoir plus, voir l’article "Religion and public education in Romania" d’Emanuel P. Tăvală in Gerhard Robbers (Hrsg.), Religion in Public Education – La religion dans l’éducation publique, Consortium européen pour l’étude des relations Églises-État, Trèves, 2011, 425-442.
Voir aussi les débats actuels de 2015 et 2016.

D 2 octobre 2012    AIuliana Conovici ALaurenţiu Tănase AManuela Gheorghe

CNRS Unistra Dres Gsrl

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